Dacre poussa un soupir chargé de relents d’alcool et de ce que la jeune fille prit pour du dédain, mais il s’écarta malgré tout pour la laisser passer. La maison ne comportait pas de hall, elle se retrouva donc directement dans le salon obscurcit par les rideaux fermés. Il y avait peu de meubles, principalement un canapé face à un écran plat sur lequel passait la rediffusion d’un match de football féminin.
 - Les Etats-Unis contre le Nigéria, commenta Dacre. Un match mémorable, un à zéro pour nous.
Abby lui adressa un petit sourire crispé qui ressemblait plus à une moue de désespoir. Constatant que ses propos n’intéressaient pas la jeune fille, Dacre désigna du bras le petit couloir derrière la télévision.
 - Il est sûrement dans sa chambre. Deuxième porte à gauche
Abby le remercia et s’empressa de filer avant qu’il ne lui parle davantage de football féminin.

La maison était telle qu’il l’avait laissée en partant le matin, plongée dans la pénombre. Il avait tenu à garder les volets fermés, en prévision de la chaleur de ce début juillet. Une certaine fraîcheur l’accueillit.
En tâtonnant, le jeune homme se faufila directement vers sa chambre. Sur le chemin il prit garde de ne pas heurter les diverses babioles que ses parents avaient amassé, notamment cette statue Ibeji ramenée de leur voyage de noces au Nigeria.
Toujours las, il s’allongea sur son lit et ferma les yeux. Son estomac criait famine, il aurait dû se déshabiller, se laver car il avait eu chaud, mais il n’en avait tout simplement plus la force ; il désirait seulement que cette journée, tout, s’arrête. Ainsi que toutes les autres.

Gabin réprime un frisson d'angoisse. D'aussi loin qu'il se souvienne, l'eau n'a jamais, au grand jamais, été son élément. La cause de cette bizarrerie – parmi tant d'autres ? Un vieil oncle complètement paf jugeant parfaitement opportun de raconter de vilaines histoires à un gosse de quatre ans.
Tremblant, il glisse un orteil dans l'étendue claire. Ce doit être glacé, mais il ne le sent pas. Des yeux, il sonde le fond de la mare et prie l'intégralité de ses ancêtres pour que rien ne bouge là-dedans.
    Son pied droit pénètre entièrement l'étang, puis le gauche. Une branche craque dans son dos. Il hurle et on lui rend son hurlement.

— Ça ne va pas de brailler comme ça ? Le fustige Claire, une main plaquée sur le cœur.
— Tu m'as fichu la frousse, sottarde, rétorque l'interrogé.
— Et moi dont ! Il va falloir sérieusement envisager de te détendre mon coco. Parce qu'à ce rythme tu vas nous rameuter tous les pillards des environs. Tout ça pour un malheureux bain, ce serait couillon.
— Excuse-moi, madame l'amie de la nature, de ne pas être aussi à l'aise que toi à l'idée de vivre comme un Robinson Crusoé.

Claire imite le canard désabusé, lève les yeux au ciel et s'approche de la berge.

— C'est vrai, cette histoire de Mami Wata ? Je veux dire, c'est vraiment à cause de ça que tu flippes ? J'étais persuadée que tu blaguais le jour où tu m'en as parlé.

Gabin fronce son nez délicat.

— Les murs de la cabane ne sont pas épais, ricane la médium face à son air incrédule. Et Alexandre a réclamé des renseignements.
— Eh bien ce n'était aucunement une blague. C'est à cause de mon oncle Marin. Il passait le plus clair de son temps à l'étranger. Un Noël, après un voyage au Nigéria et pas loin de deux litres de bibine, il a trouvé hilarant de nous raconter, à mes petits-cousins et moi, comment Mami Wata avait aspiré au fond du fleuve l'embarcation dans laquelle lui et ses comparses traversaient l'Ogun. La moitié sont morts noyés et il a affirmé que Mami Wata avait pourchassé les survivants jusque chez eux, en utilisant l'eau des fontaines, des puits et des salle de bains pour les tuer.

Claire s'accorde dix secondes et médite la confession.

— Comment il a fait pour s'en tirer, si véritablement un esprit maléfique lui collait aux basques ?
— Je n'ai pas eu l'occasion de lui poser la question, il a disparu en mer la semaine suivante, alors qu'il repartait pour…la Tunisie, je crois.
— Ah.