Emmitouflé dans son manteau noir, Tristan entrouvrit la grille d’entrée du cimetière, juste suffisamment pour passer, puis la referma derrière lui. À mesure qu’il s’avançait dans l’allée principale, il entendait la girouette de la maison du fossoyeur grincer à cause des courants d’air. L’enterreur s’appelait Alexandre Funéraire : son nom avait marqué Tristan quand il l’avait entendu aux obsèques, en le trouvant plutôt cocasse au vu du métier qu’il exerçait.


Certains venaient se recueillir et raconter les derniers évènements de leur vie, ou demander conseils aux défunts, comme si ces derniers les entendaient et pouvaient leur répondre. Mais leur comportement n’était pas universel, et Tristan ne faisait pas parti de ces gens. A vrai dire, il ne savait pas ce qu’il recherchait en allant sur la tombe de son grand-père.


Peut-être y allait-il simplement pour avoir l’occasion de méditer ailleurs que sa maison abandonnée ; ou pour se rappeler que le jeu de la vie ne consistait qu’à finir en poussière.


Ce matin en sport, certaines filles sont venues courir avec moi. Une m’a fait un croche-pied, je suis tombée par terre et j’ai eu deux ou trois écorchures aux genoux ou aux bras. La prof ne m’a pas crue, et les filles ont commencé à m’accuser de mentir. Il y a que Datsan, l’Américain en échange linguistique, qui m’a défendu… Il avait vu la scène parce qu’il courrait derrière nous.


Qui résonnent dans ma cathédrale d’ombres (c'est un vers)


Tristan ne disait rien. Un sentiment de vengeance enflammait son cœur : comment pouvait-on faire cela à Ornella ?

Emmitouflé dans son manteau noir, Tristan entrouvrit la grille d’entrée du cimetière, juste suffisamment pour passer, puis la referma derrière lui. À mesure qu’il s’avançait dans l’allée principale, il entendait la girouette de la maison du fossoyeur grincer à cause des courants d’air. L’enterreur s’appelait Alexandre Funéraire : son nom avait marqué Tristan quand il l’avait entendu aux obsèques, en le trouvant plutôt cocasse au vu du métier qu’il exerçait.


Ce matin en sport, certaines filles sont venues courir avec moi. Une m’a fait un croche-pied, je suis tombée par terre et j’ai eu deux ou trois écorchures aux genoux ou aux bras. La prof ne m’a pas crue, et les filles ont commencé à m’accuser de mentir. Il y a que Datsan, l’Américain en échange linguistique, qui m’a défendu… Il avait vu la scène parce qu’il courrait derrière nous.

Entre cet amas d'artefacts biscornus se tient une trentaine de personnes, silencieuses, attentives au récit que leur narre un petit brun dans la vingtaine à la coupe de cheveux approximative. Enjoué, le jeune homme s'agite devant son auditoire, s'enflamme à chaque nouvelle diapositive qu'il projette sur la porte fermée au fond de la salle.

— Maintenant que nous avons retracé l'histoire de ce charmant petit bourg, nous allons pouvoir entrer dans le vif du sujet : la sinistre légende qui entoure notre fameuse cathédrale Notre Dame des Oiseaux.

Des échanges de regards glissent entre les membres de l'assistance. Ils trépignent d'impatience. C'est devenu un rituel. Chaque premier dimanche du mois, tous les aficionados de l'Etrange se réunissent au Surnatéum pour écouter Gabin Perrin leur conter ses drôles d'anecdotes.

Pour notre gentil conférencier, ces exposés mensuels sont devenus un jeu. Celui d'attirer un peu plus de monde à chaque séance.  Ça flatte son ego et amuse beaucoup sa fiancée. Il jette d'ailleurs un œil dans sa direction [...]

Gabin sent une onde lui remonter l'échine, un courant délicieux. Il relève le nez, observant Cassandre [...]

— Au petit matin, cependant, alors que les premiers rayons du soleil caressaient la toiture de la cathédrale…il change de diapositive, un zoom sur le beffroi…l'énorme girouette de métal se décrocha du clocher et, dans un fracas immense, traversa les tuiles, la charpente et tout le reste pour venir s'écraser sur l'autel qui se brisa net.  

[...]

— Postulat universel, facile. Une grosse bête un peu menaçante sort de nulle part, hop, c'est un chien de l'Enfer [...]

Tout à son inattention, Alexandre ne voit pas pas les deux cyclistes qui se baladent tranquillement le long de la nationale.

— Attention ! S'égosille Claire.

Il les doublent de justesse, en frôle un du bout de son rétroviseur.

— Mais arrête-toi ! ARRÊTE-TOI ! Braille toujours aussi fort la jeune fille.
— Pourquoi faire ? S'enquiert le fossoyeur, confus.
— Tu as failli écrasé ces deux pauvres gamins ! La moindre des choses c'est de voir comment ils vont et de s'excuser.

Alexandre arque un sourcil, témoin de sa perplexité. Les gamins en question ont tout de même l'air relativement adulte et il ne les a pas blessés !

— Arrête-toi !

Il pile, soupire d'impatience et s'extrait maladroitement du véhicule tandis que la médium en jaillit prestement.

— Ca va, Tristan ? Entend-t-il.

Ce sont deux ados. Qu'est-ce qu'ils foutent là aussi ? Il faut être inconscient pour pédaler sur une route aussi fréquentée.
À quelques mètres, Claire se confond en excuses. Elle doit leur faire un bel effet, aux minots, avec ses cheveux hirsutes, son visage tout rouge et sa couronne de fleurs de traviole.
Gabin est également sorti, un coude nonchalamment appuyé sur le toit de la berline.

— C'est dommage, à dix centimètres près je n'étais plus le seul meurtrier de la bande, ricane-t-il, les yeux rivés sur les deux gosses : un garçon – Tristan donc – et une petite demoiselle.

Alexandre le fusille du regard, ce qui le fait encore plus marrer.

— Ils sont perdus, explique Claire en revenant vers eux. Ils cherchent la forêt de Pimpouin, une histoire de promenade dominicale, je n'ai pas tout saisi. Leurs propos étaient un peu embrouillés, ils sont encore sous le choc. Vous savez où c'est Pimpouin ?

Robyn soupira doucement, mais il se força à sourire à son supérieur. Il le savait, la peur de l’inconnu était universelle, et cela ne servait à rien de tergiverser sur sa future mission.

Depuis qu'il était à Tar-Minyatur, il avait l'impression d'être devenu une girouette à force de se tourner vers chaque personne lui apprenant une nouvelle chose abracadabrante.

Ibasdal et Manalitä étaient donc bons pour quatre jours à se laisser porter par les courants au-dessus des océans jusqu'à l'île des draco magnus.

Puis ce fut au tour de Blake, qui choisit d'enflammer son corps de manière théâtrale.

- Je m’en serais bien passé, marmonna Robyn. C’est surtout l’idée d’être tout seul là-bas, c’est assez angoissant.
 - Je comprends. J’étais angoissé moi aussi. Mais finalement, tout s’est très bien passé. Et tout se passera très bien, tu verras. Le jeu en vaut la chandelle.

Le Temple de Tirith était non loin du palais et faisait penser à une cathédrale gothique terrienne.

Ton apprentissage à Brésol contribue à entretenir cette bonne entendre, d’ailleurs, et les échanges commerciaux aussi.

- Tu as laissé beaucoup de gens derrière toi ? demanda Maxwell. Sur Terre je veux dire.
- Pas vraiment. Mon imbécile de beau-père, surtout. Il ne me manquera pas, ce con. Euh, désolé Faniyael, cet idiot. Mais à part lui ... Depuis que j’ai fini le lycée, je n’ai plus vraiment de contacts avec mes amis. Si, il y avait un de mes collègues à la supérette, Tristan, on s’entendait bien, même s’il n’était pas super bavard. Enfin voilà, mes fréquentations se résument à un beau-père alcoolique et un collègue un peu austère.

- J’ai cru que je ne les trouverais jamais, soupira Abby en se laissant tomber sur le fauteuil. Ils étaient au Temple, mais j’ai dû passer par le cimetière, et le gardien, vous savez, Alexandre, m’a harponnée pour discuter.
- Oh oui, c’est celui qui est beau ? gloussa Faniyael en portant une main à sa bouche.
Blake lui lança un regard furieux.
- Eh ! protesta-t-il. Je suis là, je te rappelle.
Abby haussa un sourcil et croisa les bras sur sa poitrine.
- Ce n’est pas parce qu’on est au régime qu’on ne peut pas regarder le menu, répliqua-t-elle. Et oui je confirme Fan, celui qui est beau.

- Peut-être ... Je me rappelle de toutes les personnes que j’ai menacées, je ne peux pas m’en empêcher. Il y avait ces trois filles, au clan du Faucon. Je me rappelle encore de leurs noms. Runes, Azazou et Morgane. Des sœurs, les filles de Jar, le chef du clan. Lord Angel voulait que je les tue pour l’exemple. Pour montrer que quiconque refusait l’autorité du roi des clans de l’Ombre aurait de sévères répercussions. Je me suis retrouvé face à ces trois filles, elles étaient encore des enfants. Quoique, elles ne devaient pas être bien plus jeunes que moi, en fait. Elles avaient l’air terrorisé. J’étais devant elles, avec un simple couteau. Tout aurait été tellement simple. Mais je n’ai pas pu m’y résoudre. J’ai préféré leur faire peur avec mes pouvoirs et je les ai laissé fuir. Lord Angel n’avait jamais été aussi furieux. Il m’a fait payer le prix fort, j’en ai encore les cicatrices dans le dos.

Marvin sourit bêtement. L'excitation commençait à sérieusement le gagner. Tirant sur sa manche, Dorian interrompit la sarabande bouillonnante qui prenait possession de lui et lui désigna un gigantesque panneau publicitaire. On y voyait une mannequin très belle, très jeune, très blonde et délicatement bronzée s'exclamer : « j'ai rencontré Mary Sue et Gary Stu, un couple parfait ! » L'image disparut dans un fondu enchaîné et les contours de deux boîtes de gélules se tracèrent. La première, destinée aux femmes, assurait minceur et peau sans capitons, la seconde, pour les hommes, assurait une prise de muscles fulgurante. En grosses lettres bariolées s'inscrivait ensuite « Testés scientifiquement, Mary Sue et Gary Stu, les comprimés qui feront de votre couple, le couple parfait. »

La télévision diffusait une émission de téléréalité débile dont Marine n’avait même pas saisi le concept. Une fille d’une vingtaine d’années, aux cheveux blonds décolorés, au maquillage sorti tout droit du rayon peinture de Leroy Merlin et aux seins fort généreux, faisait face à la caméra pour raconter quelques ragots insignifiants.
- Non mais je vous jure ! disait-elle, la voix haut-perchée. J'ai rencontré Mary Sue et Gary Stu, un couple parfait ! À croire qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Marine regardait l’écran d’un œil torve. Il ne faisait aucun doute que ce couple aurait rompu au prochain épisode.

L'une d'elle, la cinquantaine délicate, affublée d'une choucroute flamboyante posée aléatoirement au sommet du crâne, ne cessait de raturer des morceaux de parchemin. Sa longue plume ambrée dansait sur le support de bois qu'elle calait contre sa poitrine. Un pot d'encre flottait dans l'air à côté d'elle et sur son épaule, un hibou, haut d'une quinzaine de centimètres, somnolait. Une bague en métal enserrait sa patte gauche, bague au bout de laquelle pendait une étiquette jaunie, cornée, qui indiquait : « Azazou, propriété du Hochet Loquace, agence de gardes d'enfants sur-mesures pour sorciers trop occupés. » C'était un petit-duc scops, une boule de plumes cendrées pourvue de deux imposantes billes jaunes en guise d'yeux.

[...]

La fillette, son tutu rose virevoltant au rythme de ses bonds hystériques, pointait du doigt une personne à l'autre bout de la galerie.

— C'est Melany ! Melany la Bigotte ! Elle travaille pour Sorcière Hebdo ! C'est elle qui gère la section musique. Elle a couvert l'intégralité de la tournée des Bizarr' Sisters il y a cinq ans. C'est une pointure dans le domaine. Tous les musiciens redoutent sa critique. Par les slips sales de Merlin ! Je n'en reviens pas de la voir en vrai. Je veux être elle plus tard. Dis, Marvin, tu crois que papa et maman seront d'accord pour que je devienne reporter musical, hein ?

[...]

Opposée au débit de boisson se dressait la scène, haute, décorée de tentures noires, les instruments des musiciens déjà installés, prêts à l'emploi.

— C'est PtitMo ! Rugit Harmony, se précipitant devant l'estrade, les doigts toujours vissés à ceux de Marvin qui fut contraint de suivre le mouvement. Nom d'une grenouille putréfiée ! Tremlett va jouer avec PtitMo ce soir !

Marvin fronça les sourcils, légèrement perdu.

— C'est comme ça que Donaghan a baptisé sa basse favorite, triple andouille ! Le rabroua sa sœur, honteuse de son ignorance crasse. C'est avec cette basse qu'il a commencé sa carrière et avec cette basse qu'il a composé la mélodie de Magic Works ! Et c'est également en grattant aléatoirement des notes sur PtitMo que lui sont venus les paroles de Do the Hippogriff ! Mais comment ne peux-tu pas savoir ça ? Cet instrument est mythique, Marvin. Roh ! Dorian, dis-moi que toi, au moins, tu connais l'histoire de cette basse ?

D’une démarche déterminée, elle s’avança au milieu du pré pour venir se positionner en face de l’une des cibles. Sur l’herbe verte, une vingtaine de balises blanches avaient été posées devant, chacune espacée par un mètre de sa voisine.

En contemplant ce qui restait des plats préparés, Tristan remarqua leur dominance verte et blanche. Vert et blanc, couleurs souvent associées à l’espoir. Espoir… Ce mot ne pouvait résonner dans son esprit sans qu’il ne pensât directement à Ornella. C’était la rencontre avec elle qui lui avait permis de recommencer à rêver de meilleurs jours, à espérer. Il y avait aussi cet espoir, un espoir vacillant, que leur amitié n’était pas encore que cendres emportées par le vent. L’espoir… Bien qu’il ne commençât que dans deux bons mois, le jeune homme rêvait déjà du printemps et de ses promesses de renouveau…

Tout dans cette pièce respirait l'antique, l'authentique et le magnifique. De la longue table en bois de chêne blanc aux tentures mélèze ; des assiettes en porcelaine fine, au cristal étincelant des verres en passant par le service en argent méticuleusement poli et les chaises empires aux finitions d'ivoire… Rien, ici, n'échappait à la règle du somptueux. La lumière elle-même se pliait à la charte design des lieux. Filtrant aux travers des impressionnantes baies de la façade sud pour jeter sur le décor un halo d'or triomphant. Creusant des ombres sous les piliers et les meubles anciens. Amplifiant l'intensité des lourdes draperies.
  Au centre de cette infusion de sapin rococo macéraient trois personnes.

[...]

Tandis que Lauren se perdait en présomptions, à l'extérieur, le vent balaya un nuage. La lumière s'intensifia, inondant pleinement la pièce, réverbérant les différentes teintes de vert sur le marbre immaculé. Glass Hall. Lauren percuta.
Les vagues de lueur tremblotante donnaient l'illusion d'un lieu en perpétuellement mouvement, faisant danser les nuances et scintiller le carrare poli. Comme si le manoir avait soudainement sombré au fond du lac. Un château englouti. Un intime et sublime Atlantide au cœur du Loch Glass.