Mais le moment de gêne et de silence fut vite rompu quand un sort fut prononcé de manière malheureuse par un magicien proche qui s’énervait à chercher son apprenti dans la foule :

- Soupe de plumes d'autruches aux pétales de roses confites !

Un énorme son, proche d’un « Pouf ! » résonna et un énorme canard rose apparut alors, gigantesque, titanesque, prenant tout l’espace libre dans la pièce : ses plumes étaient d’un rose très voyant, son bec orange ainsi que ses pattes et il portait sur le front une tâche en forme de cœur blanc.
Les serviteurs présents, voulant éviter un mouvement de panique, dirigèrent les invités vers d’autres pièces pour fuir ce monstre soudain. Il poussa d’ailleurs un énorme « Coin coin ! » de peur et tenta de se déplacer avec beaucoup de difficultés : la pièce était trop petite ou lui trop grand pour celle-ci.
Toutes les personnes encore présentes étaient tétanisées et ne savaient que faire. Mais avant que quiconque n’est pu faire un geste, le canard vit sa taille se réduire et retourner à une taille normale : pourtant, personne n’avait prononcé de formule magique ou usé de son don. Klyde regarda vers Zazou et vit qu’elle avait fermé ses yeux quelques secondes auparavant : était-ce elle qui avait réalisé ce miracle ? Il ne le saurait sans doute jamais tant le don de la jeune fille était … Changeant. Mais il n’était pas le seul à l’observer : tous les magiciens le faisaient avec leurs apprentis, ainsi qu’Elsa : ils avaient senti sa magie en œuvre, sa puissance innocente agir.
Des gardes s’approchèrent de l’animal pour l’attraper mais celui-ci était trop rapide et ne se laissait pas faire. Il ne cessait de fuir et finit par se jeter dans les bras de Zazou qui l’accueillit presque instinctivement et le blottit contre elle.

- Je le garde messieurs. Annonça-t-elle aux gardes qui s’étaient approchés.

Penauds, ils regardèrent leur Comtesse et celle-ci leur signifia par un mouvement de tête d’abandonner l’affaire. Une fois le calme revenu, on reprit les festivités et les conversations, on finit d’installer les invités et Klyde et Zazou se retrouvèrent dans un petit salon avec le curieux animal.

Tout n’était que curiosité en lui : son apparition extraordinaire, l’intelligence qui émanait de son regard, sa drôle de couleur de plumage, sa tâche en forme de cœur sur le front, sa rapidité, son lien avec Zazou. Tout n’était que curiosité et Klyde ne cessait de s’interroger, assis dans un fauteuil en train de regarder la jeune femme jouer avec le canard.

- Comment comptes-tu l’appeler ? Lui demanda-t-il, poussé de nouveau par la curiosité devant la complicité entre l’animal et son amie.
- Louison. Répondit-elle directement.
- Louison ? C’est un prénom de petite fille de l’ancien temps !
- Oui mais ce canard est une cane et j’aime beaucoup ce prénom.

Comme pour valider ce choix, la nouvelle dénommée Louison, au prénom plus que curieux, poussa un petit « Coin », s’envola et va se poser sur les genoux de Klyde. Il la regarda d’un air curieux, étonné de cette approche. Elle s’installa quelques instants puis se blottit et s’endormit là.

- Je crois qu’elle t’aime bien. Souria Zazou vers lui en les observant tous deux.
- Je crois aussi.

Il osa caresser l’animal et sentit sous ses plumes son cœur battre tendrement et crut l’entendre ronronner comme un chat : quelle drôle et curieuse cane ! Sa tâche en forme de cœur la rendait unique en son genre. En plus de sa couleur rose

Jamais encore il ne l’avait vu aussi belle, aussi resplendissante, aussi lumineuse, aussi flamboyante : tout autour d’eux deux lui sembla soudain fade, sans vie, inutile, inintéressant. Toute son intention était centrée sur ce petit bout de femme et il savait que tous dans la pièce étaient aussi étonnés et absorbés que lui à la regarder mais pour des raisons totalement différentes de la sienne, qui était son plus beau secret…
Elle était aussi belle que dans ses rêves, aussi éblouissante qu’un soleil d’été comme dans ses souvenirs d’enfant. Elle était son nouveau soleil. Et il savait que cela faisait déjà un moment qu’il la percevait ainsi : combien de fois sa journée s’était illuminée lorsqu’elle était apparue dans son champ de vision, l’avait regardé par pur hasard, l’avait frôlé ou, au mieux pour lui, lui avait adressé la parole…

Toute sa tenue semblait faite pour la mettre en valeur : elle portait une robe dans des tons orangés, qui partait de ses épaules pour tomber juste avant le sol. Ses cheveux étaient attachés en une couronne de tresses ornée de rubans orange également. Elle portait de légères bottes claires qui la grandissaient. Ces tons de couleur automnaux faisaient ressortir ses yeux dans lesquels il aimait se plonger sans fin mais aussi ses joues qui s’étaient légèrement rosies lorsque tous s’étaient retournés sur elle.

Aussi, mu par un instinct protecteur, il se leva d’un bond et lui fit reculer la chaise voisine à la sienne pour qu’elle puisse s’asseoir en sa compagnie, tout en lui souhaitant le bon jour par un doux baiser sur la joue. Elle le regarda quelques secondes, troublée de cette attention, puis finit par s’asseoir en sa compagnie. Leurs gestes étaient maladroits, timides, troublés, et ils se frôlèrent plusieurs fois, se répondant en douces excuses.
Il lui attrapa la main par un réflexe nouveau lorsqu’il vit qu’elle tremblait devant tant d’attention et de regards. Elle ne le repoussa pas et, au contraire, elle serra davantage sa main lorsqu’elle commença à s’insérer dans la conversation avec les grands de ce royaume. Il remarqua qu’elle stressait alors qu’elle connaissait sans aucun doute ces personnes mieux que lui. Zazou, timide et gênée.
Mais elle se reprit bien vite, entama les conversations avec leurs hôtes, profita généreusement du repas offert sans néanmoins lâché sa main lorsqu’elle pouvait laisser son bras gauche poser ainsi. Il ne sut dire ce qui se passait exactement entre eux mais il en était heureux : peut-être que ses secrets espoirs avaient une possibilité de réponse positive …
Et au moment où cette pensée le traversa, il croisa son regard et vit qu’elle le regardait intensément, comme absorbée dans sa contemplation. Elle serra une dernière fois sa main avant de la relâcher : il ne s’était pas aperçu que le repas s’était fini et que tous quittaient la tablée.

Puis un homme se leva : il était mate de peau, aux tatouages volant sur ses épaules et son buste à peine caché par un voilage couleur sable. Ses longs cheveux auburn ondulés étaient attachés en une queue de cheval. Il affichait un air strict lorsqu’il entama ses propos :

- Avant d’interroger ces deux jeunes gens, je souhaiterais rappeler au Conseil ici réunit quelques leçons que nous ont enseigné nos maîtres magiciens par le passé, comme nous les enseignons à nos apprentis en retour.

Un matin, il avait été rendre visite à un voisin pour l’aider bénévolement mais il était en larmes, le visage légèrement abîmé, les mains et les vêtements sales : il venait de se battre avec des jeunes de son âge qui avaient osé se moquer de son père. Instinctivement, il l’avait défendu avec les mots puis avec les poings lorsque ceux-ci n’avaient pas voulu retirer leurs propos. C’était lui qui avait gagné, comme toujours, même si cela l’avait empêché d’arriver propre chez cet habitant proche : il espéra qu’il n’allait pas trop se soucier de sa propreté. Surtout qu’il devait l’aider à entretenir son jardin et il serait donc encore plus sale ensuite avec la terre, les feuilles, les toiles d’araignées et autre.

Il songea à l’œuf. Leur œuf mauve. Zazou l’avait caché dans sa chambre et ils avaient demandé au Guérisseur Blissey si il pouvait utiliser sa magie pour enchanter le coffre où il était caché, empêchant ainsi quiconque de l’ouvrir hormis eux deux. Il s’était exécuté, rompant une des règles de son ordre qui lui disait de rester en dehors de toute usage de la magie autre que pour la guérison

Un sentiment de jalousie puissant traversa la jeune femme : Kazimir était à elle et à elle seule. Mais elle ignorait tout du passé qui avait pu lier le jeune homme avec Zazou, un passé amical, fou, passionné.

- Oui Porneia. Et je t’interdis de la toucher ! Gronda-t-il en voyant son regard flamboyé de colère et ses yeux devenir semblables à ceux du cobra.
- Je … Je …

Elle jeta son verre en cristal contre le mur avec violence mais Kazimir lui prit ensuite le poignet : tout en lui lui intimait de cesser de faire l’idiote, à ses risques et périls.

- Je ne t’aime pas Porneia. Tu le savais et tu le sais toujours mais tu as voulu jouer. J’ai joué avec toi pour mon propre plaisir. Tu n’as été que ma marionnette, mon pantin, mon jouet sexuel (ces mots bruts choquèrent la jeune femme mais il ne cessa pas pour autant, prenant son visage dans son autre main et le serrant un peu fort). Mais maintenant que ma conquête la plus ardue de mon existence est de retour dans ma vie, je vais batailler pour la récupérer, en usant de tous les moyens possibles. Elle est à moi et à moi seule ! N’essaye pas de t’interposer ou tu le regrettas sévèrement ! Souviens-toi de ce qui est arrivé à Polen. Ses mots n’étaient que domination et colère.
- Alors, tu devrais savoir … (Elle cherchait les mots les plus blessants, les plus horribles que pourrait dire sa langue fourchue) Elle en aime un autre si tu l’avais mieux observé ! (elle poursuivit en voyant son regard étonné) Elle a protégé le garçon, lui a pris la main : ce n’était pas par amitié mais par amour ! Tu aurais dû le sentir mais tu as préféré laisser libre à la Colère ! ELLE L’AIME, SOMBRE IDIOT !

Guidé par sa colère, il la frappa violemment au ventre par un coup de genou. Puis il la poussa à terre, lui marcha sur la poitrine avant de venir s’asseoir sur elle. Il la frappa au visage plusieurs fois, avec les poings, comme si il frappait un homme. Elle lui hurla de s’arrêter, de stopper. Elle tenta d’user de sa magie mais rien ne l’arrêtait : son Don, la Colère, imprégnait son sang et ses gestes, lui intimant de poursuivre son acte pour étendre sa sourde colère.
Finalement, il cessa mais pour mieux l’humilier d’une autre manière : il lui arracha une poignée de cheveux qu’il jeta à terre puis déchira violemment sa tenue, la faisant apparaître nue sous lui …

- Ma petite idiote … (il approcha sa bouche de son oreille) Laisse moi profiter une dernière fois de ta faiblesse, sotte apprentie d’Abbas … Laisse moi profiter une dernière fois de ton stupide corps …Car sache que rien ne me résiste … Pas même une fille amoureuse ! Termina-t-il en lui crachant au visage avant de commencer sa vengeance.

Il ravit la dernière once d’âme de la jeune femme. Il la laissait là, sur le sol, véritable torrent de larmes, de bleus et de sang. Il l’avait marqué de sa Colère et plus jamais elle n’osera se rebeller contre lui. Plus jamais. Il remit correctement sa soutane et sortit de la pièce. Oh oui, il avait fini de jouer avec elle, avec sa dernière marionnette. Un autre jouet l’attendait désormais …

Alors qu’ils s’amusaient à observer celle-ci et à se l’imaginer en vrai, un véritable monstre apparut alors, rugissant, grondant et se fracassant contre un dôme qui suivait les remparts du château : il leur semblait qu’il s’agissait d’une pieuvre immense, sans fin, dont les tentacules mauves s’abattaient dans un rythme déchaîné sur le rempart magique, visant à le briser. L’une d’elle frappa juste au dessus de leurs têtes, les obligeant à retourner se réfugier à l’intérieur : Louison avait disparu, sans doute partie se cacher dans un trou pour se protéger. La peur les gagnait devant ce spectacle de Mort. Car là était l’objectif de la pieuvre : détruire, tuer.
Le sol se mit à gronder. Le ciel s’obscurcit, masquant les deux Lunes, et des explosions se firent entendre de toute part et leur parvint alors l’évidence : le château du comté des Neiges Eternelles était attaqué.
Devant eux, ils virent la pieuvre continuer de détruire le dôme, le fissurant à de multiples endroits, tandis que des éclairs et boules de feu s’abattaient pour l’aider, sans doute lancés par des magiciens adversaires cachés au dehors des murs d’enceinte. Dans les couloirs, ils entendirent des bruits de courses, des cris d’enfants et de femmes, des bruits d’armes qui frôlent les murs. Un serviteur, affolé, entra de manière fracassante dans leur pièce, leur demandant de rester à l’abri, et repartit de sitôt dans une course folle pour continuer sa mission.