Il entreprit de gravir les marches quatre à quatre, se précipitant dans l’autre pièce quand soudain … une horde d’objets plus ou moins lourds lui tombèrent en cascade sur la tête, et il s’écroula.

Un peu sonné, Michael se releva en hâte, conscient du danger qui le poursuivait, lorsqu’il avisa une main squelettique sur son épaule gauche. Il poussa un cri d’effroi et balaya les phalanges d’un revers de main agité. Derrière lui, aucun son ne lui parvenait plus. Avait-il réussi à les semer ? Pour une fois, il avait eu la jugeotte de tenter une entourloupe en se dirigeant vers la pièce la moins probable sur son chemin. Sûrement qu’ils avaient continué tout droit sans imaginer une seconde qu’il se réfugierait dans ce placard macabre.

Michael jeta un œil aux objets qui l’avaient pris en embuscade et qui jonchaient à présent le vieux plancher rongé. Des cailloux de toutes les couleurs, chapelets, cierges et autres brocailles, et parmi cette camelote, des osselets formaient vaguement tantôt une main, tantôt un pied, en un monticule où trônaient de petits crânes. Michael imagina un instant à qui ils pouvaient bien appartenir et chassa cette idée saugrenue et honteuse d’un mouvement de tête.

Tout à coup, un objet en particulier attira son attention. C’était un coffret en bois d’où pendouillait une poupée de chiffon qui lui était étrangement familière. Cheveux sombres, grands yeux marrons, oreilles légèrement décollées, elle lui ressemblait en tout point, même sa petite fossette avait été dessinée. Il la pressa entre son pouce et son index à l’endroit où le poignet droit avait été découpé au ciseau. Une douleur lancinante électrisa son moignon. Les larmes lui montèrent aux yeux lorsqu’il détailla la petite étiquette au dos, une minuscule portion de tissu décoré d’un symbole qu’il ne connaissait que trop bien. Là, sous ses yeux rougis, une petite pipe anthropomorphe le narguait en souriant. Un vacarme sourd bourdonna dans ses oreilles. Des pas pressés, des chutes d’objets lourds, des cris peut-être… Une chaleur épouvantable montait depuis le bas des escaliers. Mais de tout cela, Michael n’avait que faire. Les yeux rivés sur son fétiche, il n’avait plus envie de réagir, de bouger, de penser. Jamais. Tandis que des flammes commençaient à lécher la porte derrière lui, son souhait était sur le point de se réaliser.

« Vendredi 03 juillet 2020
Nombre de mots : 520
J’avance bien dans mon roman, je suis super contente. Et avec ce que j’ai trouvé comme intrigue, on ne refusera pas mon manuscrit, c’est sûr. Pas cette fois ! J’ai bien fait d’accompagner Michael dans ce camp creepy. Il fait froid dans le dos, ça ravive mon inspiration. Mais les zigotos qu’on se trimballe, c’est franchement pas des lumières, ni des courageux… »

« Samedi 04 juillet 2020
Nombre de mots : 345
Pas très inspirée, aujourd’hui… Les lieux sont à couper le souffler, il n’y a pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde et avec la réputation du camp, il y a de quoi faire une bonne histoire. Mais qu’est-ce qu’on s’ennuie… Du moins jusqu’à ce je rencontre quelques personnes particulières. Là, les choses sérieuses ont commencé. Au début, c’était rien que des petites blagues : couper le câble internet, espionner les collègues pendant la nuit, retirer la batterie de la voiture de Michael, manipuler une ou deux personnes… C’était juste pour pimenter un peu le jeu, pour mettre en scène une vraie histoire ! Comme quand j’ai façonné ces poupées vaudou. »

« Dimanche 05 juillet 2020
Nombre de mots : 1230
Je n’arrive plus m’arrêtait d’écrire. Il se passe trop de choses… J’ai fait ce qu’il fallait et je ne regrette rien ! Après tout, le frisson c’est vraiment mon truc, même si je ne m’attendais pas à ce que ça tourne aussi mal. J’avoue avoir commencé à flipper quand Michael s’est fait agresser. Mais ce qui est arrivé n’est pas ma faute ! Et d’ailleurs, je ne retrouve plus ma poupée. Je l’ai cherchée partout, même sous la cantine. Je suis sûre que Gontrand me l’a volée quand il est venu chercher le crâne. Plus jamais je ne ferai confiance aux gars avec qui je couche. Tant pis, je ne pourrais plus exciter Michael par ce biais-là. »

Tout en se faufilant sur les traces des ravisseurs, Jason lisait ces mots dans le carnet bleu de Madeline, celui qu’il lui avait dérobé quand elle lui avait proposé son marché. Une sorte de monnaie d’échange en quelque sorte. À ce moment-là, il ne l’avait pas vraiment lu, juste parcouru des yeux, et il le regrettait. Mais cette histoire de cantine lui disait bien quelque chose, à présent. Il savait où chercher. À peine avait-il refermé l’ouvrage qu’un filet de fumée noire s’échappa du sol autour du réfectoire. Non ! Il se précipita aux abords de la bâtisse, mais la porte était déjà brûlante. Qu’est-ce qu’il pouvait faire maintenant ?! Il rouvrit le carnet en vitesse. « Il y a plus qu’à croiser les doigts pour que tu m’aies laissé d’autres indices Madie ».

Pitoyable !
"Vous n'êtes peut-être pas mort à l'extérieur, mais par contre vous l'êtes à coup sûr de l'intérieur. Les blessures mentales ou émotionnelles que vous venez de subir ne guériront jamais. Vous allez droit dans le mur."

Rien à signaler.
Retour à la case départ. Peut-être un bleu ou une fracture, tout comme hier, tout comme demain quoi... Vous avez peut-être appris tout de même un truc : par exemple, comment réussir la prochaine fois. La prochaine fois...

Génial.
Incroyablement génial. Vous vous en sortez sans une égratignure, mais en plus s'il y a une nana concernée, elle tombe le bas. Vous pouvez m^me être riche grâce à cette combine vous savez ? On y retourne !

Les doigts de Jason tournèrent les pages à un rythme effréné. Il devait y avoir quelque chose d'autre dans ce foutu carnet ! C'était essentiel ! Vital même !
Mais il n'y avait que des pages vierges. D'une blancheur presque moqueuse.
Tu ne trouveras rien de plus, semblaient-elles lui crier.
De frustration, Jason poussa un cri de rage et envoya boulait le journal à quelques mètres de lui.
Foutu carnet ! Totalement inutile !
D'un autre côté, à quoi s'était-il attendu ? A ce que Madeline, depuis l'au-delà, lui révèle d'autres secrets tordus ? Comme si il n'y en avait pas eu assez... Elle avait voulu jouer, s'était associé à un groupe de fou... et avait provoqué la mort d'un certain nombre de gens. Point final. Histoire complète.
C'était suffisamment horrible comme ça. Pourquoi chercher plus compliqué ? Oui, pourquoi...
C'est la question que Jason se posait en boucle, fixant les flammes qui commençaient à lécher le bar en bois de la cafétéria. Son cœur battait à tout rompre, ses doigts étaient moites, son esprit s'échauffait. Comme s'il savait qu'il y avait plus que ça dans cette sordide histoire. Comme s'il une part de lui mourrait littéralement d'envie d'apprendre le lourd secret masqué dans les lignes de ce journal...
Tu es fou... marmonna-t-il. Complément timbré. Tu perds la boule. Maintenant bouge toi et sort d'ici. Va rejoindre les autres à l'entrée. Enfin si il reste d'autres personnes...
Il jeta un dernier regard vers le fond du réfectoire, vers le petit carnet dont la couverture n'allait pas tarder voler en fumée, vers les pages désespérément blanches qui...
Bordel !
Il se précipita sur le petit carnet et l'attrapa d'une main tremblante. Ces doigts rencontrèrent quelques projections de flammes, lui brûlant la peau, mais il s'en ficha. Car là, sous ses yeux, les pages vierges du carnet n'étaient plus... et bien, vides. Une écriture serrée, semblable à celle des pages prétendantes, mais plus pressée, emplissait désormais chaque page jusqu'à la dernière !
De l'encre invisible !
Cette garce l'avait roulé jusqu'au bout !
Presque.
Après tout, lui était ici, le carnet et ses secrets dans les mains, elle était... allongée dans une tente, irrémédiablement et définitivement... morte.
Un sourire victorieux étira ses lèvres, sans qu'aucun sentiment de culpabilité ne vienne le déranger. Il était le gagnant de l'histoire. Le héros !
Il feuilleta fébrilement les pages, cherchant la où il s'était arrêté. Pourquoi Madeline avait-elle pris la peine de cacher la suite ? Le début suffisait largement à établir sa culpabilité...
Il trouva la réponse quelques paragraphes plus loin.

Mercredi 07 juillet 2020.
Mickael est méfiant. Dois écrire en cachette. Rapidement avant qu'il rentre. Je sais qu'il est au courant pour ce carnet.
Des tâches d'encre gênèrent sa lecture et il fronça les sourcils, contrarié.
... crois pas qu'il ait lu. ... aurait fait une scène... Gontrand ... dois faire... affe.

Rien de nouveau dans les paragraphes suivants. Il s'apprêtait à refermer le carnet mes ses yeux captèrent quelque chose à la fin de l'ouvrage. Il s'empressa de tourner les pages.
Le texte était écrit à l'envers, agrémenter de schémas. Il dut reconnaitre que Madeline était douée. Très douée même.
Il reconnut parfaitement les traits de son frère dans l'illustration de la poupée vaudou. Elle était même parvenue à capturer les différences qui le caractérisaient ! Un frisson glacé lui parcourut l'échine. Le dessin avait beau être réussi, il n'en restait pas moins un mode d'emploi... pour soumettre son frère à sa volonté.
Des flèches indiquaient les endroits où planter les anguilles pour l'exciter. D'autres, ceux pour l'endormir.
C'est comme ça qu'elle sortait la nuit sans qu'il s'en rende compte...
Les pages suivantes décrivaient la fabrication de la poupée vaudou Gontrand. Le mot vengeance y était gribouillé à plusieurs reprises. Les traits étaient plus sombres, plus appuyés.
Elle lui en veut...
Soudain la lumière se fit dans son esprit : elle avait trompé son frère !
Non qu'il en aurait quoique ce soit à faire en temps normal mais dans ces circonstances...

Il accéléra sa lecture, pressé par les flammes qui grossissaient. Autant sauté les descriptions techniques de sa troisième poupée. Il s'attaqua donc directement à l'avant dernier paragraphe. L'écriture de Madeline y était saccadée, presque illisible. Elle semblait avoir perdu la raison.

Lundi 12 Juillet 2020
Fini la poupée... Très ressemblante... être fun... Tests sur Gontrand ... grand succés... peux implanter cauchemars ... Adore...hâte de tester sur ...
Nouvelle bavure.
Demain ...moment fatidique...
Niark niark...
si après ça... pas meilleur roman... pas quoi... mieux...

Elle était givrée ! Tout ça pour écrire un foutu bouquin ?! A quel moment avait-elle sombré ? Comment n'avaient-ils pu rien voir ? Pauvre Mickael !
Il se rappelait avoir croiser Madeline hier. Elle lui avait semblait si... normale. Souriante et aimable malgré la situation. Ça aurait dû éveiller mes soupçons...
Elle avait donc tout planifié. Pour aujourd'hui aussi...
Soudain son cœur accéléra. Et si... Si elle avait aussi prévu la fin ?

C'était ridicule. Idiot. Stupide. Personne ne prévoyait l'avenir. Et pourtant...
Son cœur s'emballa et il sentit une poussée d'émotions s'emparer de lui. Mélange d'adrénaline et de peur. Qu'avait-elle prévu ?
Une seule solution.
Lire.

Mardi 13 Juillet 2020.
Le 13 était entouré de coeurs et souligné à maintes reprises. Il frissonna. Définitivement timbrée.
Grand jour... Heureuse.
Ben tient ! Des gens vont mourir youpi !
Ces loosers risquent d'y passer. Tous. Tant mieux !
Jason faillit échapper le carnet. C'était ironique. Jamais il ne l'aurait cru capable de penser et encore moins d'écrire ces horreurs !
... plan parfait.
Sous ses yeux les mots glissaient. Trop ignobles pour s'intégrer dans son cerveau. Rappels douloureux des événements de la soirée.
Sous-sol...Mickael.
Vengeance...
Main coupée !
Récolter sang...
Amis s'en chargent.

C'était... Il crut qu'il allait vomir. Voir des films d'horreurs n'avait jamais été son fort et il avait toujours refusé de jouer dans l'un d'entre eux - non qu'on lui ait vraiment proposé mais bon, il aurait refusé !- alors le lire et savoir que...
Bordel ! Mickael avait une main en moins !
Il est peut-être même mort, mon coco !
Qui allait lui prêter de l'argent maintenant ?
Il cligna des yeux. Comment pouvait-il penser quelque chose comme à dans un moment pareil ! Son frère était mort ! Le stress... le choc... Ce devait être ça.
Oui ! C'était forcément ça. Il n'était pas un monstre !
Il se força à reprendre la lecture.

Ne pourra pas m'accuser. Tout prévu. M'être feu au réfectoire. Brûler preuves et corps.
Je vais "mourrir". Ils me croiront tous disparue.
Nouvelle identité.
Romancière célèbre !
Le coupable ... tout désigné ! Personne ne le croira ! Il sera interné ! Prison ou asile... Pauvre pauvre fou...
Merci les poupées vaudou !

Jason était perdu. Elle avait utilisé les poupées pour contrôler quelqu'un. Lui faire faire toutes ces horreurs... Mais qui ?
Pas Mickael, probablement mort au sous-sol.
Gontrand ? Vu les images, il allait se pendre...
Alors qui ?
Un campeur innocent, pour sûr.
Il devait trouvé le responsable. Enfin, le soldat du diable. L'arrêter tant qu'il était encore temps. Retourné voir Madeline. Vérifier si... Si elle s'en était sortie... La mettre hors d'état de nuire...
Il devait trouver...
Seulement il avait lu tout le carnet ! Et devant lui, une page blanche, légèrement noircie par la chaleur de la pièce. Pas de mots, invisibles ou non. Rien. Que cet espace vide dans lequel il semblait se noyer.
Qui ?
Il songea aux pages qu'il avait sauté et se rua dessus. Où était-ce déjà ? Juste avant ! Rah ! Les feuilles collaient ! Ces doigts tremblants d'appréhension ne l'aidaient pas !
Mais qui était-ce, bon sang !
Enfin, la page fatidique s'ouvrit.
Jason lâcha le carnet.
Il s'effondra.
Impossible. Irréel. C'était un cauchemars !
Comme sur le dessin, il glissa ses doigts dans la poche de son manteau et en tira un objet.
Il actionna le mécanisme et une petite flamme jaillit du briquet.
Il poussa un long hurlement tandis que, sur le carnet, son double de papier lui souriait.

Violente ! Des blessures qui ne vont jamais cicatriser. Et ce n'est qu'un début. Des membres seront coupés, arrachés, brûlés, lors de votre périple constant vers l'échec. Vous pouvez dire au revoir à tout ce que vous aimez. Vous pouvez mourir, mais ce n'est pas obligé !