Bon, après, soyons honnête, il n’avait fait ça qu’une seule fois dans sa vie et c’était seulement pour récupérer en avances la liste des acteurs retenus pour le spectacle de fin d’année du lycée. Et il n’était pas seul. En fait ils étaient 3. Et ce n’est pas lui qui tenait le crochet… Bon mais il avait bien tout retenu. Etape 1, insérer les deux bouts de l’épingle pour créer la tension. Jusque-là, tout allait bien. Etape 2, pousser la première goupille avec le crochet, ok, il l’avait. Le plus dur maintenant, aligner les goupilles restantes. « J’y suis presque…ah…aaaaahhh ! ». La dernière goupille avait enclenché un piège, une double grille qui s’était refermée à toute vitesse sur le poignet de Michael, le tranchant net au passage. Plus blanc qu’un cachet d’aspirine, Michael était au bord de l’évanouissement, les yeux rivés sur l’emplacement où devait se trouver sa main. À la place, un jet de sang abreuvait une mare rouge au sol. Au moment où la cage s’ouvrait sur une paire de bottines à talon, Michael vomit tripes et boyaux et tomba la tête la première dans les pommes, ou plutôt dans un immonde mélange de sang et de vomi.

Madeline s’impatientait dans sa cabane, les bras croisés sur la poitrine, tapant du pied comme un lapin. S’il y a bien quelque chose qu’elle ne supportait pas, c’était qu’on l’ignore. Pas de Michael en vue. Ni de Jason. C’était quoi leur problème aux deux frangins ? Et Gontrand qui avait décidé que « travailler » était plus important que de prendre du bon temps. Non mais, quelqu’un allait-il faire attention à elle ? Agacée, elle décida de se rendre à la cabane de Gontrand, pour faire le sale boulot. Comme dit le proverbe, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Son bungalow était à bonne distance du sien et il pleuvait averse. Pire encore, l’orage grondait et elle détestait ça. Elle avançait à pas feutrés, trop anxieuse de réveiller la colère des dieux célestes. Elle tremblait quand les éclairs zébraient le ciel, sursautait quand un coup de tonnerre rugissait. Au n°4, la lumière était allumée. « Tiens, ne me dis pas que Jason est finalement passé à l’acte pour pouvoir aller jusqu’au bout de la mission ? Je ne l’en pensais pas capable, ce dégonflé ». Pourtant, pas un bruit à l’intérieur. Suspicieuse, Madeline passa la tête par une fenêtre ouverte. Personne en vue… Elle déglutit difficilement en pensant à l’étrangeté de la situation. Tout à coup, un coup de tonnerre déchira le silence et Madeline fit un bond, se cognant la tête à la bordure de la fenêtre. Une grimace passa sur ses lèvres et elle se glissa discrètement à l’intérieur. Où était ce foutu crâne ? Pas dans l’oreiller, ni sous le lit, rien dans les tiroirs… Et avec cette tempête, elle n’arrivait pas à se concentrer ! Furieuse, Madeline était sur le point d’abandonner lorsqu’un éclair irradia la pièce et laissa transparaître une ombre qui l’épiait derrière elle. Le monstre faisait 2 fois sa taille. Tremblante, elle était au bord des larmes. Le plus silencieusement possible, elle saisit un tisonnier qui trainait là, se retourna à toute allure et l’abattit de toute ses forces dans la tête de son prétendu agresseur, qui tomba à terre dans un bruit sourd. C’est à ce moment que Gontrand entra dans la pièce, l’air profondément choqué, les yeux braqués sur le tisonnier ensanglanté dans la main de Madeline. Celle-ci le regarda à son tour et fit un pas en avant, mais Gontrand recula.
- C’est pas ce que tu crois ! Il a voulu m’attaquer et…
- Et tu l’as tué de sang-froid ?
- Non, il n’est peut-être pas mort ! Et c’était de la légitime défense !
- Bien sûr… Et d’abord qu’est-ce que tu fais chez moi ?! Tu fouilles dans mes affaires ? J’en peux plus de ce camp, j’en peux plus des autres, et surtout de toi et de tes sautes d’humeur !
- Eh oh ! T’es qui pour me juger et me prendre de haut comme ça ?
- Moi je te signale que je n’ai tué personne !
- Moi non plus !
- Ça, ça reste à prouver… en même temps, vu le patrimoine génétique, marmonna-t-il.
- T’as dit quoi là ?
- Rien.
- Je crois que si, alors assumes et répètes !
- Tu as très bien compris.
Complètement hors d’elle, la mâchoire tremblante, Madeline brandit le tisonnier encore poisseux au-dessus de sa tête et…

… et se jeta sur Gontrand en hurlant. Mais ni une, ni deux, il lui attrapa les mains, la força à lâcher le tisonnier et la repoussa violemment. Elle se prit les pieds dans les jambes du corps allongé au sol et tomba à la renversé. Il l’avait maitrisé avec tant d’adresse !
— Ou as-tu appris ça ? demanda-t-elle.
Sa colère se calmait peu à peu. Elle essaya de reprendre sa respiration, et de ne pas penser au fait qu’elle venait de tuer quelqu’un, et qu’elle avait failli tuer Gontrand.
— Peu importe, c’était il y a longtemps.
Il ne la regarde pas directement en répondant et elle comprit immédiatement qu’il cachait quelque chose. Il lui tourna le dos, comme pour cacher son visage et l’émotion qu’il pourrait laisser transparaître.
Alors, silencieusement, elle attrapa de nouveau le tisonnier, lui pointa sur la nuque assez fort pour qu’il le sente et dit :
— Tu caches quelque chose. Où est le crâne ?
— Je ne l’ai pas. Madeline, tu es en danger.
— Parce que je suis avec toi ? Je crois l’avoir compris.
— Madeline, fuis. S’il te plait.
— TA GUEULE !
Elle serra le tisonnier plus fort encore, prête à le tuer !
— Dis-moi…
Il y eut un bruit assourdissant. Un bruit qu’elle n’avait jamais vraiment entendue mais qu’elle reconnut parfaitement. Elle l’avait entendue dans les films, dans les séries. Quelqu’un venait de tirer.
Le tisonnier tomba à ses pieds. Gontrand se retourna, surpris.
Madeline tenta de respirer, mais elle ne réussit pas. Pas complètement.
Une goutte de sang tomba sur son pied.
Elle baisse la tête.
Regarda Gontrand droit dans les yeux.
Puis elle tomba à la renverse, une balle logée dans son ventre.




SCENE GONTRAND
Gontrand la rattrapa avant qu’elle ne tombe. Elle respirait faiblement. Il enleva sa chemise et compressa la plaie. La balle était ressortie. Merde ! Le sang de Madeline ne s’arrêtait pas de couler et elle mourrait très bientôt si personne ne faisait rien. Mais il n’avait pas le temps de l’aider, il devait fuir !
Il se releva mais avant qu’il n’ait pu quitter la pièce, la porte s’ouvrit. Trois silhouettes encapuchonnées entrèrent.
— Bonjour Gontrand, dit l’un d’entre eux.
Il les fixa, un à un, le regard mauvais. Puis ses yeux se posèrent sur le tisonnier.
— C’est inutile, n’y pense même pas, dirent-ils en chœur.
Il réfléchit à toute vitesse, tenta de trouver une solution pour fuir. Mais il les connaissait trop bien pour savoir que la cabane était probablement entourée et qu’ils ne le laisseraient jamais fuir.
— C’était stupide, de revenir ici, ajouta une voix d’homme.
— Vraiment stupide.
— Mais ça nous arrange.
L’un d’eux s’approcha de lui.
— Vois-tu, on ne fuit pas la cabale indéfiniment.
— Surtout quand on en a fait partie.
— On en fait toujours partie.
— Seul la mort nous permet de quitter la cabale, conclurent-ils en chœur.
Il le savait très bien. Il n’était pas stupide. Mais il voulait tenter de les arrêter ! Et il avait lamentablement échoué. Pire encore, des gens étaient morts à cause de lui. Et aujourd’hui, il mourrait à son tour.
Cette idée le terrifiait.
Les trois hommes levèrent ensemble leurs pistolets et…

Désespérée, elle avait profité que l’attention des assaillants soit tournée vers Gontrand pour écrire quelques lettres avec son sang. Epuisant ses dernières forces, Madeline avait utilisé cette ressource ultime – dans laquelle elle baignait à présent. Son visage auparavant si beau était tordu de douleur.

A la fois ému et terrorisé, Jason tenta de déchiffrer son dernier mot. Les larmes qui lui brouillaient la vue ne lui facilitaient pas la tâche. Il crut discerner certaines inscriptions :

CA … … INE

Il se concentra, rassemblant toute sa peine dans cette tentative désespérée de décryptage.

La troisième lettre ressemblait étrangement à l’avant-dernière. S’imaginant un mot à partir de cette hypothèse, il extrapola plusieurs possibilités jusqu’à en trouver une correspondante : CANTINE.

Déboussolé, Jason se demanda si Madeline avait réellement mis toutes ses forces pour écrire ce mot. Il semblait surréaliste compte tenu de la situation, avant qu’il ne percute : il ignorait comment elle avait fait, mais avait peut-être deviné soit d’où venaient, ou bien l’endroit dans lequel ils se dirigeaient.

Ce n’est qu’en s’éloignant d’elle qu’il aperçut le second corps allongé à côté d’elle. Immense, l’homme devait mesurer dans les deux mètres. Une large plaie à la tête balafrait son visage. D’abord horrifié Jason sentit la bile remonter le long de sa gorge. Après quelques expirations lentes il arriva à se calmer, tentant de raisonner le plus efficacement possible.

Luttant contre ses nausées, Jason se mit à fouiller le cadavre, espérant tomber sur d’autres indices lui permettant d’y voir plus clair sur cette situation surréaliste.

Il comprit de suite comment Madeline avait compris l’endroit de leur repaire. Différentes tâches de sauces couvraient les vêtements du colosse. C’était donc ça … ces criminels avaient dû infiltrer les postes de cuisiniers. Voire davantage. Tâtant ses poches, Jason mit la main sur deux objets particulièrement utiles : un pistolet chargé et un téléphone portable. Ce dernier ressemblait à une antiquité, sans doute faisant office de burner. Il l’ouvrit sans s’attendre à grand chose, avant de découvrir qu’il n’était pas verrouillé.

Anxieux, il découvrit de nombreux messages effarants : des machinations pour attirer des innocents dans leur camp, des confirmations de sacrifices, des pot-de-vin aux autorités locales, une liste de cibles … tout avait été organisé pour faire de ce camp une véritable boucherie. Puis il tomba sur un MMS qui le fit basculer : une photo de son frère, emprisonné dans une cage de fer et se tordant de douleur. La légende lui glaça le sang « rentre au QG : le prochain agneau t’attend ».

Jason sentit son sang bouillonner. Aveuglé par sa colère et désespéré par la situation une seule solution s’imposait : il ne pouvait compter que sur lui-même. Il rangea le burner, au cas où il pourrait lui être utile une fois sa haine canalisée.

Empoignant le pistolet et le tisonnier, il se dirigea vers le nouveau lieu de ses cauchemars : la cantine.

La douleur lui vrillait l’esprit. Jamais il n’avait connu une telle souffrance, arrivant à peine à comprendre ce qu’il se passait autour de lui. Une jeune femme en talon l’empoignait par le bras, le trainant avec l’aide d’un complice étrangement habillé à travers une cave sombre.

Ils arrivèrent péniblement dans une seconde pièce, tapissée de rideaux de velours écarlates et éclairée par des bougies. Une chaise était disposée au centre d’une foule encapuchonnée. Tout cela ressemblait à une secte morbide.

Michael ignora s’il s’agissait d’un instinct primaire ou de ses sens qu’ils retrouvaient peu à peu sous l’adrénaline, mais subitement il retrouva sa clarté d’esprit. Affolé, il se redressa. La femme tenta de le maitriser, il se défendit en lui faisant un croche-patte particulièrement violent. Incapable de s’équilibrer avec ses talons elle chuta. Son compagnon lâcha Michael, volant à son secours. L’ensemble des adeptes énigmatiques se précipitèrent d’un seul bloc vers elle.

Profitant de la confusion, Michael tenta sa chance pour fuir. Courant pour faire demi-tour il ne manqua pas de renverser quelques cierges en espérant que les drapés prennent feu. Il n’attendit pas de constater le résultat, décampant de toutes ses forces.

Traversant la chambre froide puis la cave il aperçut un escalier dont la porte en hauteur était entrouverte : la fameuse lumière ! Celle qu’il voyait lorsqu’il était prisonnier de sa cage ! Il entendit des cris derrière lui, les fous devaient s’être mis à sa poursuite.

Il entreprit de gravir les marches quatre à quatre, se précipitant dans l’autre pièce quand soudain …