Jackpot. Madeline tenta de contenir son émotion. Elle ignorait ce qu’elle ressentait : l’excitation d’avoir capté sa pleine attention, le lourd remord d’avoir proposé une telle somme ou la peur s’échouer si près du but. Dans tous les cas ce n’était pas le moment de tergiverser. Elle avait une affaire délicate à conclure.

Devant elle Jason se rassit lentement, à la fois perplexe et fortement intrigué. Ça se voyait, il avait à présent ce regard étrange : il voulait tout savoir. Mince, ça ne l’arrangeait pas du tout.

- Je me demande vraiment ce que ça peut être pour que tu proposes autant.
- Justement, le « no question asked » fait partie du package, répliqua-t-elle.
- Hmm … Tu les as vraiment tes mille balles, au moins ? Sur toi je veux dire ?

Madeline ne pouvait plus faire marche arrière. Bien sur qu’elle ne les avait pas. Qui se promène avec tant de liquide ? Avec un copain fauché ? Personne. Elle aurait aimé pouvoir confier la vérité à Jason, mais il lui rappelait trop Michael. Et elle ne le connaissait que depuis quelques jours. Il la prendrait pour une folle. La jeune femme ne pouvait pas se permettre de lui lâcher une si lourde hypothèse sur Gontrand alors qu’elle n’était pas sûre d’elle. Si le crâne était chez lui, il se révélait coupable. Dire qu’elle l’avait fait avec lui juste à côté … alors qu’il y avait une probabilité qu’il ne fût pas étranger à ce drame macabre. Un frisson lui parcourra l’échine. Faisait-il partie de la cabale ? Cette histoire était digne d’un roman.
Dès qu’elle aurait cette preuve, elle avouerait tous ses soupçons à Jason. Il comprendrait. C’était une question de vie ou de mort. Au pire, s’il était furieux sur l’argent promis … elle pourrait toujours l’orienter vers Michael.

Madeline s’arma de son air le plus sérieux, irradiant de détermination. C’était pour leur bien. A tous.

- Bien sûr. Je te ne les aurai pas proposé sinon.

Par le plus grand des miracles, Jason sembla la croire. Elle en fut la première surprise.

- T’as intérêt à tenir parole, menaça-t-il, avant de changer de ton en réfléchissant à l’exécution de son plan. Elle crut le voir rougir. Visiblement perturbé, il continua en toussotant, T’aurais du gin par hasard ? Pour aider avec … l’ambiance nécessaire pour l’opération ?
- Euh … oui, je vais pouvoir te trouver ça. Laisse moi retourner dans ma cabine et je te le donne.

Jason se releva, ce qui fait paniquer Madeline.

- Où tu vas ?
- Mettre une meilleure chemise.
- Oh … bien sûr, laissa-t-elle s’échapper, très gênée. Trop à son goût, d’ailleurs.
-       On a un deal maintenant. Je vais le tenir.

Elle se leva à son tour, saisissant la poignée de la porte avant qu’un dernier éclair de lucidité la frappe.

- Jason, quoiqu’il arrive ne regarde pas à l’intérieur du pochon. C’est … privé, finit-elle maladroitement.

Il ne répondit pas.

Assis au bar de la salle des fêtes, les bras accoudés sur la tablette, Gontrand fixe le vide. Dans sa main gauche, un verre à moitié plein, devant ses yeux vitreux, une rangée de verres totalement vides. Du rouge, il ne voit que du rouge. Il se frotte les paupières, hébété par la stupidité de la situation. La dernière chose dont il se souvient, c’est l’eau bien chaude de la douche coulant sur son dos meurtri. Meurtri par quoi ? « ‘sais plus ». Ouah, le black-out total. Faudrait peut-être qu’il arrête l’alcool. Il ne se rappelait pas la dernière fois qu’il avait autant bu. Tout à coup, il sent une main sur son épaule et tressaillit. C’est Joe, le barman.
- Le directeur Samson veut te voir, mon vieux. Il a besoin d’aide.

Un quart d’heure plus tard, les yeux de Gontrand ne s’étaient pas encore remis de sa cuite et peinaient à y voir clair dans cette cabane obscure. Le dirlo lui avait demandé de se rendre à la vieille cabane abandonnée, la 13, la maudite, celle qui avait été condamnée il y a longtemps. Il disait qu’elle ferait une super attraction, mais qu’il fallait d’abord lui redonner un petit coup de torchon, histoire que les gosses n’attrapent pas de cochonneries. C’est vrai que c’était un sacré bordel : des meubles renversés, des bris de verre, des bestioles partout et ah ! des cafards, il avait horreur de ça ! Et s’il fallait sauter d’une chaise miteuse à l’autre pour faire son ménage, qu’il en soit ainsi ! Sur les murs, des vieilles coupures de presse datant de plusieurs dizaines d’années étaient à moitié déchirées. Des mômes auraient été renvoyés pour violence et manipulation conduisant à la mort d’une camarade. « Pauvre fille, qu’est-ce qui a bien pu lui arriver ? ». À la suite de ça, deux d’entre eux auraient été envoyés dans un centre psychiatrique. Une photo en noir et blanc montrait les visages de plusieurs jaunes garçons dont l’un d’eux avec un regard à glacer le sang. Sur leur épaule, ils avaient tous le même faux tatouage dessiné eu feutre. Quelque chose comme une croix avec deux yeux, et en dessous un morceau de mot : « Caba ». Cabane ? La moisissure et la dégradation des documents l’empêchaient de tout comprendre, mais imaginer l’horreur des événements le fit frémir. Tout à coup, le tabouret de bois sur lequel il tenait en équilibre s’effondra dans un craquement sinistre et Gontrand se vautra sur le plancher troué tandis qu’une horde d’insectes lui grimpaient dessus. Paniqué, il cria de toute sa voix en secouant ses membres, sans parvenir à se relever. Une semelle de chaussure lui écrasa la main, mais Gontrand, affolé et au bord de la crise cardiaque, ne vit pas de quelle jambe venait ce pied. Il tenta vainement de repousser ce talon qui broyait ses doigts, griffant, cognant, martelant de toutes ses forces. Il ne cessait de crier, mais bientôt un cafard vint se loger dans sa bouche. C’en était trop. Gontrand bondit sur ses pieds, éjectant au passage des formes et des couleurs qu’il ne reconnaissait pas. Il prit ses jambes à son cou en direction du réfectoire. Oui, bonne idée, il y avait toujours du monde là-haut. Il courrait, courrait, à toute vitesse, écartant les branches qui lui griffaient le visage, tombant, se relevant péniblement, jetant sans arrêt des coups d’œil derrière lui. Il ne voyait pas son assaillant, mais il savait qu’il était là ! Droit devant lui, une silhouette se profila. Michael, c’était Michael !
- Au-secours ! Aideee-moiiii !
- Gontrand ?
Mais alors que ce dernier entrevoyait enfin un espoir de s’en sortir, des bolas manquèrent de peu de lui attraper les chevilles, explosant la terre à ses pieds. Dans l’air, il entendit siffler l’arrivée d’une nouvelle tentative et hurla :
- Couuuuuuurs !

Après une dizaine de minutes à chercher tous les deux dans le froid de la nuit noire, Jason luttait contre le défaitisme ambiant qui s’emparait progressivement de lui. Après son élan galvanisé par ses hantises du passé, il se rendait à l’évidence : il était seul à chercher désespérément dans le noir son frère qui ne répondait à aucun de ses appels, vocaux ou téléphoniques. Gontrand était certes à ses côtés. Seulement physiquement. Il se tenait proche de lui mais regardait constamment derrière son épaule, complètement déconcentré sur sa tâche. Le moindre bruit de la forêt suffisait à le faire bondir. Le pauvre jeune homme était métamorphosé depuis son témoignage traumatique – d’abord une jeune femme agressée, puis une course poursuite en lien avec son frère. C’était invraisemblable. Néanmoins peu de choses avaient de sens depuis quelques jours. Gontrand semblait s’être trouvé au mauvais moment, au mauvais endroit par deux fois. Etait-ce une simple coïncidence ?
Jason repensa brièvement à la mission que lui avait confié Madeline, avant de se remettre à éclairer le chemin avec son smartphone. Chaque chose en son temps. Il deviendrait fou sinon.

Un éclat brilla brièvement au sol au passage de son éclairage surpuissant. Intrigué, Jason se rapprocha de l’objet trouvé. Une montre. Celle de son frère.

Inspectant les environs, rien d’autre ne semblait indiquer la moindre trace de Michael. Il s’était comme volatilisé. Rongé d’inquiétude comme jamais il n’aurait imaginé pu l’être à son propos, Jason céda à la panique, redoublant d’intensité dans ses cris de recherche :

« Michaaaaaaaael ! »

Scène 11

C’était la deuxième fois que Michael s’éveillait dans une posture incongrue. Il ne pensait pas que la situation de l’infirmerie ne pouvait être égalée en terme d’étrangeté. Voire même dépassée. Il aurait aimé avoir tort …

Roulé en boule dans ce qui lui apparaissait être une cage en fer, Michael tentait de plisser les yeux dans l’obscurité pour discerner son environnement. Une faible lumière l’éclairait, celle de la lune à travers une mince fenêtre située en hauteur. S’il devait prendre un pari, il s’imaginait être dans une espèce de cave. Le reste de la pièce était sombre, il ne distinguait rien. Son cœur battait à cent à l’heure, complètement effrayé. Mis à part un énième mal de tête, il ne semblait avoir rien. Michael se souvenait à peine de ce qu’il s’était passé, le visage appeuré de Gontrand restant l’un de ses derniers souvenirs cohérents.

Il tenta aussi discrètement que possible – qui sait ce qui l’entourait ? – de se mettre dans une position plus confortable et soupira discrètement de soulagement en réalisant qu’il n’était pas entravé. Il était certes emprisonné mais ses mains et pieds étaient libres.

Quelques murmures et bruits étouffés lui parvenaient du plafond, mais il n’arrivait pas à les entendre distinctement. S’il était ainsi prisonnier, Michael suspectait fortement qu’un cri de sa part risquait seulement d’alerter son geôlier et non de potentiels sauveurs. Il se retint.

Anormalement calme face à cette situation de détresse maximale, Michael essayait de peser ses options.

Son premier réflexe fut de vérifier ses poches pour trouver son téléphone. Sans grande surprise, il lui avait été subtilisé. Il ne lui restait que quelques affaires dispersées, dont la plupart inutiles. Ce ne fut que lorsque ses doigts frôlèrent un trombone resté au fond que Michael eut une illumination.

Passant sa main sur les barreaux de la cage, il sentit au bout de quelques palpations le cadenas retenant la grille. Doucement, il retira le précieux trombone de sa poche pour le déplier. Qui ne tentait rien … n’avait rien ?