Ce fut lorsqu’elle ne sut pas quoi cuisiner pour son diner qu’Annie réalisa au bout de dix longues minutes que sa condition l’avait rattrapée. Sa recette familière de bobun avait été dégustée à deux reprises cette semaine, sa salade méditerranéenne dévorée ce midi. Elle avait même eu recours à sa pizza congelée de secours hier soir. Et toujours aucune idée à l’horizon pour ce prochain repas. Comment ce faisait-il que tout ce qu’il lui restait fût des accompagnements ? Des légumes, n’allant même pas ensemble malgré toute la peine intellectuelle qu’elle se donnait ! Un concombres et carottes, pour l’amour de Dieu !

Ce fut à ce moment qu’Annie, désemparée devant son frigidaire, comprit que ce confinement avait fini par atteindre un des derniers refuges qu’elle pensait préservé : son imagination culinaire. Elle se sentit stupide à l’idée que ce constat la perturbe à ce point, essayant de se raisonner face aux malheurs autrement plus réels que d’autres affrontaient chaque jour en ces temps troubles, et que la moindre évocation aux informations troublait les nuits d’Annie. Elle n’était qu’une égoïste. Une ingrate. Une inconsciente. Et une affamée isolée, seule entre huit murs. Elle avait faim de l’extérieur, de l’air frais et pollué de la ville, de sorties nocturnes, de collectif voire même de transport en commun ! De toutes ces choses qu’elle ne pensait pas un jour venir à lui manquer. Elle avait même fait du sport cette après-midi pour s’occuper !

Annie soupira, reprenant le contrôle de ses pensées. Elle se releva en prenant appui sur la porte de son frigidaire, l’ouvra de nouveau et en sortit le concombre et les carottes. Après les avoir lavés, épluchés, et coupés elle les disposa dans des bols et sortit un pot de crème. Elle n’allait pas se laisser abattre par la situation, même si cela revenait à manger un apéritif en guise de repas. Trempant sa carotte dans la sauce et la portant à sa bouche, des larmes coulèrent sur ses joues rougies par la honte. La recette était tellement simple qu’elle ne méritait pas cette appellation. Mais le croquant du légume sous ses dents combiné à la douceur de la crème lui rappela la solution à son dilemme : son repas était mauvais, fade et sans trop de saveurs certes.

Mais elle pouvait encore ressentir. Et c’était cela le plus important. Ça, et le fait que des carottes et concombres à la crème fraîche seraient toujours meilleurs que n’importe quelle recette au pangolin. Elle éclata de rire. Un pangolin à la crème, en blanquette ! Non mieux, en paupiettes ! Continuant son repas de fortune, Annie se consola en commençant à imaginer des plats exotiques avec cette saveur qu’elle ne connaissait pas, mais qui avait remis sur pied son imagination.