- Alors ça y est ? Tu vas vraiment déménager ?
Dastan se tourna vers Abby, assise à ses côtés. La jeune fille le fixait de ses grands yeux verts. Ses cheveux noirs dépassaient à peine ses épaules frêles dissimulées sous un pull trop grand qui cachait son corps encore enfantin.
 - Ouais.
Il baissa le regard vers ses mains, croisées sur ses cuisses. Les deux amis étaient assis côte à côte sur un banc, dans le parc d’Arvest Street. À cette heure avancée de l’après-midi, des enfants jouaient sur les balançoires et les toboggans, sous l’œil attentif de leurs parents. Le soleil se couchait, illuminant la scène d’une lumière orangée.
 - On part ce week-end, reprit-il après un instant de silence. Dacre a déjà trouvé une maison. J’ai envie de le tuer.
Abby lui saisit la main.
 - Eh, Clear Valley, ce n’est pas loin d’ici, raisonna-t-elle. On pourra encore se voir souvent. Patsy pourra t’emmener en voiture.
Dastan haussa mollement les épaules sans relever la tête.
 - Peut-être… J’ai l’impression qu’ils font ça juste pour m’embêter.
Il se tut, laissant le silence s’installer entre eux. De longues minutes s’écoulèrent, pendant lesquelles ils regardèrent les enfants s’amuser devant eux.
 - Tu vas me manquer.
Il avait dit ces mots à toute vitesse, sans relever les yeux, ni esquisser le moindre mouvement. Abby l’observa un instant, puis un sourire étira ses lèvres.
 - Tu me manqueras aussi.
Dastan tressaillit légèrement et il finit par tourner la tête vers son amie pour lui faire face. Malgré ses treize ans, elle était déjà d’une grande beauté, et il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle deviendrait d’autant plus belle en vieillissant.
Il demeura immobile un bref instant, se perdant dans les yeux vert d’Abby. Puis, n’écoutant que son cœur, il se pencha rapidement vers elle et vint poser ses lèvres sur les siennes. La jeune fille eut un léger sursaut, mais elle ne recula pas. Leur baiser fut doux, rempli d’innocence, et par-dessus tout porteur d’une promesse. « Nous nous reverrons » semblait-il dire. Demain, dans un an, dans dix ans. Peu importe quand, nos chemins se recroiseront.

- Merci Charles.
- Je te devais bien ça.
- Charles, … Je suis désolée moi aussi.
- Pour?
- Pour avoir réagi si violemment tout à l’heure, je… J’étais inquiète.
- J’ai cru comprendre oui.

Charles posa sa main sur celle, encore valide d’Elizabeth. Encore une fois, la magie opéra et cette fois ci, Elizabeth ne manqua pas l’occasion. Elle s’approcha de Charles dont le visage était éclairé par les derniers rayons de soleil de la journée et déposa un baiser sur ses lèvres.

Charlie ouvrit la porte. Les deux amies entrèrent dans la maison et y trouvèrent une multitude de personnes déguisés. Tamara suivit Charlie qui slalomait entre les tables jusqu’à atteindre une femme portant une armure argentée et dont le casque était surmontée d’une tête de poulet.

- Alaïs! lança Charlie!
- C’est Princesse Alaïs, rétorqua la femme au casque de poulet en se retournant.

Très vite sa grimace se changea en un sourire en voyant qui l’avait appelé ainsi:

- Charlie! On ne te voyait plus!
- Oh tu sais, le boulot…
- Anne, je te présente Ala… Je veux dire la princesse Alaïs, son royaume a comme symbole…
- Le poulet je suppose, lança Tamara avec un sourire. Enchantée princesse.
- Tu es une amie de Charlie, tu peux m’appeler par mon prénom. Mais ne le crie pas trop fort, très peu ont cette honneur.
- Je vais lui faire faire le tour! Et lui présenter tes treizes maris, s’empressa d’annoncer Charlie.

En voyant le visage de Tamara, Alaïs et Charlie se mirent à rire. La journée semblait prometteuse.

Elle fut interrompue par la toile de tente qui s’ouvrit à côté d’eux. Une jeune femme qui devait avoir le même âge que les deux anges passa sa tête dans l’entrebâillement et posa ses yeux couleur noisette sur Nathanaël. Ses cheveux châtains s’échappaient de son chignon et elle paraissait soucieuse.
 - Nath’, je vais avoir besoin de toi, annonça-t-elle, le front plissé par l’anxiété.
 - Qu’est-ce qui se passe Liza ? demanda Anaël en se levant vivement. Un souci à l’infirmerie ?
La jeune femme acquiesça rapidement et se passa une main sur le visage.
 - On est à cours d’antidouleurs, annonça-t-elle. Et Doren s’est réveillé, il a délire complètement.
 - C’est bon, on vient, dit Nathanaël en se levant à son tour.
Il se tourna vers Abby, qui ne bougeait pas, son verre de jus dans les mains.
 - Mange ce que tu veux, on revient dans un moment, déclara-t-il.
Avant que la jeune fille n’ait le temps de réagir, il sortit de la tente, suivi par Anaël. Liza jeta un rapide coup d’œil intrigué vers elle, mais elle n’ajouta rien et referma le pan de tissu derrière elle.
Abby se retrouva seule, avec pour unique compagnie la table du petit déjeuner.

Ils étaient assis dans la pièce principale à discuter quand quelqu’un entra. Ce n’était ni Akila, ni aucun des anges qu’ils connaissaient, mais une jeune femme d’une vingtaine d’années aux longs cheveux d’un roux flamboyant. Malgré l’environnement un peu chaotique du campement, elle était tirée à quatre épingles et elle se posta devant les adolescents, les poings sur les hanches.
 - Êtes-vous les invités de Nathanaël ? demanda-t-elle sans préambule.
 - Oui, répondit Maxwell. Est-ce que Nathanaël et Anaël vont revenir ?
La jeune femme fit une moue et elle pencha légèrement la tête sur le côté.
 - Anaël est bloqué à l’infirmerie, il doit aider Liza à soigner un blessé. Mais ce n’est pas facile. Je viens chercher Dastan, de la part de Nathanaël.
L’intéressé leva maladroitement la main.
 - Euh, c’est moi.
La jeune femme porta son attention sur lui et ses yeux se mirent à briller.
 - Votre Majesté, dit-elle en inclinant la tête. Je m’appelle Tamara. Nathanaël m’a dit de vous dire qu’il était prêt pour votre entraînement. Je dois vous accompagner là-bas.

Quand Dastan rouvrit les paupières, ce fut pour fixer un regard nouveau sur Nathanaël, debout en face de lui. Un regard bien plus déterminé.
Alors, sans un mot, il leva son épée et se rua vers son adversaire. Son premier coup surprit l’ange, qui ne s’attendait pas à tant de violence. Il se ressaisit rapidement et riposta face à l’attaque de Dastan. Les gestes du jeune homme étaient encore maladroits, mais il semblait plus sûr de lui.
Nathanaël esquissa un sourire et il se plongea dans le duel, frappant son épée contre celle de son adversaire.

Les conversations se firent plus légères, les anges et les magiciens apprirent à se connaître. Nathanaël leur fit goûter une liqueur artisanale à base de fruits qu’ils ne connaissaient pas tandis qu’Anaël les faisaient rire avec des histoires abracadabrantes qui avaient eu lieu dans la Cité.
L’espace d’un instant, Dastan oublia presque pourquoi il était ici. À dire vrai, il n’avait pas passé une soirée conviviale comme celle-ci depuis de nombreuses années. Son regard se posa sur Abby, qui écoutait le récit d’Anaël avec intérêt, un sourire aux lèvres et son verre à la main. Même s’il allait probablement mourir dans les deux jours à venir, il devait avouer qu’il était content d’être avec la jeune fille. Elle lui avait manqué plus qu’il ne l’aurait cru.

Soudain, la jeune fille entendit un claquement sec alors que l’ange resserrait ses bras autour de son corps. Et alors, leur chute s’interrompit et Anaël fila à l’horizontale pour remonter en flèche vers le ciel. Abby se rendit compte qu’elle avait fermé les yeux et elle rouvrit ses paupières pour voir qu’ils survolaient désormais l’océan à une vitesse folle.
Abby tourna légèrement la tête sur le côté et ce qu’elle vit l’émerveilla davantage.
Nathanaël volait près d’Anaël, Dastan dans ses bras. Sur son dos nu, les tatouages avaient disparu. À la place, deux grandes ailes recouvertes de plumes blanches s’étaient déployées de part et d’autre de son corps et le maintenaient dans les airs.
- Tu n’as pas le vertige ? lui lança Anaël à travers le vent.
- Non, c’est génial ! cria la jeune fille. Tu peux monter plus haut ?
Anaël se mit à rire et, après avoir fait un signe de tête à Nathanaël, il battit des ailes, identiques à celles de son ami, pour remonter en piquet. La manœuvre des deux anges fut saluée d’un cri de terreur de Dastan, qui refusait toujours d’ouvrir les yeux.
Abby, elle, ne pouvait tout simplement pas fermer les paupières. Elle était trop émerveillée par ce qu’elle voyait. Avec Anaël derrière elle, elle avait l’impression de voler par ses propres moyens. C’était une sensation incroyable, grisante. Elle aurait voulu que cela ne s’arrête jamais.

Elizabeth, alors qu’il n’était que cinq heure du matin, se faufila dans le garage du manoir et emprunta la voiture de Hank. Elle devait se rendre chez Erik pour lui parler. Elle savait que le retrouver ne serait pas de tout repos, mais elle se devait de le faire.

Il lui fallu plusieurs heures de routes avant d’atteindre New York où se trouvait Erik. Il se cachait dans les sous bassement de la ville avec quelques autres mutants, dont certains qu’Elizabeth avait déjà pu croiser quelques mois auparavant. Erik ne semblait pas le moins du monde surpris de la présence de la jeune Elizabeth ici.
Elizabeth, je t’attendais.

Elizabeth, en sortant à nouveau au grand jour, décida de ne pas rentrer tout de suite au manoir. Elle avait besoin de revoir Brooklyn, de marcher sur le sable de la plage, avec l’horizon à perte de vue. Le froid de l’hiver avait beau s’être invité, Elizabeth retira ses chaussures, et trempa ses pieds dans l’eau glacée de l’océan Atlantique. Elle ferma les yeux, se laissant porter par le son des vagues qui s’écrasaient contre le sable. Le vent marin lui fouettait le visage, mais elle ne bougeait pas d’un pouce.