- Des olives ?
Holly émergea de ses pensées et releva le menton. Ses oreilles bourdonnaient, un son cristallin tintait en arrière-plan.
- Pardon ?
- Vous reprendrez bien un verre ?
Elle détailla l’homme qui lui tendait une coupe de martini. Grand et costaud, les cheveux bruns, une mâchoire carrée et volontaire qui disait « Je suis irrésistible ». Il ne lui disait rien du tout.
- Est-ce qu’on se connaît ? demanda-t-elle en attrapant la coupe malgré tout.
- Pas encore. Mais ça ne saurait tarder.
Holly leva les sourcils et dissimula son sourire en prenant une gorgée. Quelle technique de drague originale ! Feignant (ou pas) l’ennui, elle pivota sur son tabouret et détailla la foule. L’orchestre jouait un air de Ravel des plus divins. La Valse, si elle se souvenait bien. Au milieu de la piste, quelques couples éparses tournoyaient avec grâce. Sur les côtés, des hommes et des femmes battaient du pied, se dandinaient, discutaient en riant. Des robes noires, dorées, rouges virevoltaient dans un ballet de soieries tandis que le bruit des talons qui claquent résonnaient dans la salle de cabaret. Holly avisa un homme d’âge mûr en smoking blanc. Le riche américain dans toute sa splendeur. Bingo ! L’air de rien, elle touilla ses olives en gardant sa cible au coin de l’œil. Entouré de 3 gorilles qui se voulaient discrets mais ne l’étaient aucunement, il échangeait avec une charmante jeune femme affalée dans un sofa d’angle, elle aussi bien accompagnée. Avec ses cheveux noirs de jais remontés en couronne de plumes, son sourire éclatant et ses yeux malicieux, elle paraissait à la fois innocente et insolente. Une vraie enfant. Holly sentit immédiatement qu’il faudrait s’en méfier. Lorsque le vieillard la salua et disparut dans une salle sur la gauche, elle entreprit de se lever à son tour pour suivre ses pas, mais on attrapa sa main avec vivacité pour la retenir. Elle se retourna pour objecter et croisa une rangée de dents blanches absolument irrésistible.
- Vous dansez ?
Avant qu’elle n’ait eu le temps de répondre, son mystérieux admirateur l’avait entraînée sur la piste où la musique passait à présent un tango argentin particulièrement sensuel.
- Vous avez un sacré toupet, Monsieur, fit-elle remarquer sans se débattre pour autant.
- Et vous un talent manifeste pour le tango. Mais appelez-moi Pierre, je vous en prie.
- Dites-moi Monsieur Pierre, que venez-vous faire au Grand Ecart ? Vous cherchez de la compagnie ?
- Pas n’importe quelle compagnie.
La main posée dans son dos émit une pression ferme, mais délicate, qui la fit basculer en arrière. Elle se redressa tout aussi promptement et sourit avec malice. Elle n’avait pas dit son dernier mot. Presque joue contre joue, ils arpentèrent la longueur de la salle en quelques enjambées bien placées.
- Et vous-même ? Il est rare de voir des Américaines seules à un bar.
- Qui vous dit que j’étais seule ?
- Votre verre vide, bien sûr.
La contrebasse joua une note sèche et Monsieur Pierre en profita pour attirer Hollie plus encore contre lui. Entrant dans son jeu, celle-ci remonta langoureusement sa jambe contre la sienne et fit glisser sa main le long de son bras. Il suivit ses doigts fins du regard et Hollie le sentit tressaillir.
- J’attendais quelqu’un, lui chuchota-t-elle à l’oreille.
- J’espère que c’était moi, car sinon c’est que vous ne l’avez pas trouvé.
- Vous avez coupé mon élan.
- J’en suis navré.
- Sincèrement ?
- Non.
Et il la fit pivoter pour se retrouver dans son dos.
- Mais maintenant que nous sommes là, essayons de profiter de ce tango délicieux.
Hollie se laissa transporter par les bras chauds de ce sombre inconnu. Qui était cet homme ? Ils dansèrent ainsi encore une minute ou deux, lorsque la note de fin laissa place à un rythme de charleston endiablé. Hollie perdit son sourire en apercevant par-dessus l’épaule de Pierre l’homme au smoking entrer à nouveau dans la pièce. Elle allait s’extirper en vitesse pour le filer, mais fut rapidement prise dans le flot de danseurs de jazz. Elle joua des coudes un instant, laissant pantois son cavalier, resté seul avec d’elle, juste une rose et son parfum délicat. Lorsqu’elle parvint à sortir de la cohue, sa cible n’était plus là.