Un aboiement la sortit de son espère de transe et tous les deux tournèrent la tête vers la passante qui tirait sur la laisse de son minuscule chihuahua.
« Calypso, tu te calmes, le réprimanda-t-elle avant de tirer une autre fois sur la laisse pour le faire revenir à ses pieds. »

« Un grand malheur va s’abattre sur ta famille. Prends garde, ami des Neiges. » - Javier

Un simple message au cœur de la nuit, qui réveille le pauvre Jack assoupi sur son bureau. Un message d’alerte d’un de ses contacts au Mexique, un Serpent-Vision, une créature-serpent lié au monde des Esprits et terrestre, rencontré bien des années plus tôt, alors qu’il était encore jeune et innocent.

Son voyage à l’autre bout du monde, en Amérique du Sud, loin de sa neige natale norvégienne et de ce climat qui convient tant à sa famille, était diplomatique. Fils héritier de la famille Frost, son père l’avait envoyé pour obtenir des soutiens mexicains dans sa candidature pour obtenir le poste de président de la célèbre entreprise mondiale de création, Légende, où travaillent secrètement toutes les familles descendants de légendes locales et leurs représentants depuis l’arrivée de l’ère moderne.

C’est là qu’il avait fait la rencontre de Javier, fils de Serpent-Vision et héritier du pouvoir qui en émane, vivant aujourd’hui sous forme humaine mais aux liens avec le monde des Esprits et des Morts très forts. Ils s’étaient fortement liés d’amitié, au-delà des relations politiques qu’impliquaient leurs origines. Ils avaient voyagé ensemble dans tout le pays et n’avaient cessé depuis de garder contact.

Mais Javier était conscient du décalage horaire entre leurs deux pays et un tel message, en plein cœur de la nuit norvégienne et en fin de journée mexicaine, n’annonçait rien de bon : son lien permanent avec les Esprits du monde, vivants ou morts, lui offrait des dons prodigieux de médium, lui permettant de voir, sans contrôle, des images du futur liées à des émotions fortes, souvent de mort.
Et la mise en garde qu’il envoyait à Jack Frost n’était pas à écarter.

Celui-ci quitta son bureau désordonné, où il avait passé la nuit à travailler sur les études menées sur le développement durable en Norvège par sa filiale de Légende. La pièce était attenante à sa chambre où dormait son épouse, dont il vérifia la sécurité et la santé, avant de se rendre auprès de ses enfants .
Tous deux dormaient encore dans la même chambre, refusant d’être séparés, de par leur lien de gémellité : ils vivaient toutes leurs aventures ensemble et rendaient folle leur mère par leur caractère inséparable.

Ils dormaient paisiblement, sous un ciel lumineux d’étoiles créé par leurs veilleuses. Cette vision apaisa Jack mais ne fit pas disparaître son angoisse, ne refusant pas les présages que le Monde pouvait lui envoyer …

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Edelweiss et son frère avaient pour habitude de jouer près du bois attenant à leur maisonnée, sous le regard bienveillant et protecteur de Bear, leur ours polaire domestique, véritable compagnon de son père lors de sa tumultueuse jeunesse et de ses longs voyages en solitaire dans les paysages enneigés d’Europe. Ils s’amusaient au cours de folles batailles de neige ou créaient des bonhommes avec l’aide de la grande taille de Bear, habile de ses pattes et habitué à devenir le compagnon de jeu des enfants Frost. Ils se risquaient très rarement à pénétrer dans les bois, sombres et silencieux, qui les effrayaient mais les attiraient tout autant parfois. Bear grognait alors pour leur rappeler les consignes et calmait leurs ardeurs enfantines et espiègles.
Jack ne craignait donc pas de les laisser quelques instants seuls à profiter de la neige au-dehors tandis que sa femme et lui préparaient le repas. Jack avait rencontré également Nora au Mexique, quelques temps avant d’en repartir et de quitter son ami Javier. Elle y séjournait une année pour ses études dans l’humanitaire et venait soutenir une association d’aide aux populations les plus défavorisées. Il l’avait rencontré lors d’une réunion avec la famille de Javier, grands donateurs auprès de celle-ci. Il avait été éblouie par son fort tempérament, sa maîtrise du sujet, son absence de crainte face à l’une des familles les plus puissantes du pays … Il avait trouvé en elle une personne forte qui pourrait comprendre le poids de l’héritage qui pesait sur ses épaules. Il était resté avec elle en Amérique du Sud et étaient rentrés ensemble en Europe où il avait pu la séduire et fonder cette famille qui était leur plus belle fierté commune.

Il remarqua néanmoins les traits tirés de Nora, comme exténuée, et lui en fit la remarque.

- J’ai très mal dormi Jack, sans doute un mauvais rêve …

Il était difficile de faire croire à un Frost qu’il n’existait pas de coïncidence dans ce monde où il vivait, alors que la magie y était omniprésente et y réglait les évènements selon une destinée qui échappait au commun mais qui signifiait beaucoup pour les Légendes. Il vit là un autre signe à relier à la mise en garde de son ami, sa femme ayant développée depuis la naissance de ses enfants une sensibilité puissante, acquise au contact du sang Frost par ses héritiers.

- De quoi as-tu rêvé ? Lui demanda-t-il en l’enlaçant, offrant un espace de paix à sa moitié
- J’ai entendu un cri … Un immense cri de douleur … Puis j’ai vu des bois de cerf … Avant que tout ne redeviennent noir et que je ressente un puissant serrement au cœur …
- Sois apaisée  Mi pequeño corazón … Je veille sur notre foyer et le protégerais …

« Je ne sais pas grand-chose sur toi, lâché-je.
— Que veux-tu savoir ? répond-elle, d’un sérieux à toute épreuve.
— Par exemple, tu aimes voyager ?
— Mes parents m’emmenaient beaucoup voyager lorsque j’étais plus jeune, puis ils ont arrêté dès lors que j’ai été assez âgée pour me débrouiller seule. Pour les voyages que j’ai réalisés, j’en garde un bon souvenir.
— Si tu pouvais aller n’importe où dans le monde pour ton prochain voyage, où irais-tu ? »
Ses lèvres se plissent en une moue pensive.
« J’irais au Mexique, je pense. »
Elle ne cessera donc jamais de m’étonner. Surprenant mon air étonné, elle développe :
« Tu sais c’est un pays avec de magnifiques paysages. Et des belles plages. (Je lâche un rire mais elle me coupe Mais ce n’est pas tout, puisqu’il y a également beaucoup de ruines anciennes datant  de l’époque coloniale espagnole, et c’est une partie de l’Histoire que je trouve très intéressante.
— Je ne te connaissais pas passionnée d’histoire.
— Comme quoi. »

Quand elle terminait son travail plus tôt, Callista quittait discrètement le champ pour se rendre au village. Elle appréciait alors ces instants de liberté en flânant près de l’école. Adossée au mur, sous l’ombre d’un oranger, la petite fille laissait le vent jouer avec ses cheveux tandis qu’elle se repaissait des conversations des garçons. En effet, leur cour se situait juste à l'arrière de son repère.

— Au Mexique, ils disent que si on te photographie, tu perds ton âme !

Callista reconnut la voix d’Antonio, le fils du docteur. Les enfants de l’école adoraient Antonio et ses histoires, car elles rappelaient souvent à quel point le garçon était fortuné.

— Comment tu sais ça ?
— C’est les amérindiens qui le disent ! Mon père y est allé, il les a rencontrés.
— C’est ridicule de penser ça. Pourquoi une photo te ferait perdre ton âme ?
— Je ne sais pas… C’est comme si on te l’aspirait apparemment, souffla Antonio d’un ton mystérieux.

Callista fronça les sourcils. Aspirer l’âme ?

— Mais qu’est-ce qu’on devient sans âme ?
— Je ne sais pas. Mais quand on meurt, on est condamné à errer sur Terre. Pour toujours.
— BOOOUUUUUUH !!

Callista sursauta en même temps qu’elle entendit les enfants crier de surprise. Elle se retourna et aperçut le nouvel arrivant, Joseph. Son regard bleu ciel, braqué sur elle, lui donna le tournis, si bien qu’elle crut en défaillir, tant il était pénétrant.
Destabilisée, Callista détala et songea, alors qu’elle courait jusque chez elle, qu’elle se sentait comme si on venait tout juste de la prendre en photo.

Pouvait-on aspirer l’âme avec les yeux ?

Bien sûr, elle n’aurait plus le temps d’y penser.