D’une démarche déterminée, elle s’avança au milieu du pré pour venir se positionner en face de l’une des cibles. Sur l’herbe verte, une vingtaine de balises blanches avaient été posées devant, chacune espacée par un mètre de sa voisine.

En contemplant ce qui restait des plats préparés, Tristan remarqua leur dominance verte et blanche. Vert et blanc, couleurs souvent associées à l’espoir. Espoir… Ce mot ne pouvait résonner dans son esprit sans qu’il ne pensât directement à Ornella. C’était la rencontre avec elle qui lui avait permis de recommencer à rêver de meilleurs jours, à espérer. Il y avait aussi cet espoir, un espoir vacillant, que leur amitié n’était pas encore que cendres emportées par le vent. L’espoir… Bien qu’il ne commençât que dans deux bons mois, le jeune homme rêvait déjà du printemps et de ses promesses de renouveau…

Tout dans cette pièce respirait l'antique, l'authentique et le magnifique. De la longue table en bois de chêne blanc aux tentures mélèze ; des assiettes en porcelaine fine, au cristal étincelant des verres en passant par le service en argent méticuleusement poli et les chaises empires aux finitions d'ivoire… Rien, ici, n'échappait à la règle du somptueux. La lumière elle-même se pliait à la charte design des lieux. Filtrant aux travers des impressionnantes baies de la façade sud pour jeter sur le décor un halo d'or triomphant. Creusant des ombres sous les piliers et les meubles anciens. Amplifiant l'intensité des lourdes draperies.
 Au centre de cette infusion de sapin rococo macéraient trois personnes.

[...]

Tandis que Lauren se perdait en présomptions, à l'extérieur, le vent balaya un nuage. La lumière s'intensifia, inondant pleinement la pièce, réverbérant les différentes teintes de vert sur le marbre immaculé. Glass Hall. Lauren percuta.
Les vagues de lueur tremblotante donnaient l'illusion d'un lieu en perpétuellement mouvement, faisant danser les nuances et scintiller le carrare poli. Comme si le manoir avait soudainement sombré au fond du lac. Un château englouti. Un intime et sublime Atlantide au cœur du Loch Glass.

Tout autour de lui flambait. Les stands, les marchandises. Le marché était en feu. Une senteur épicée s'envolait avec les braises tandis que même le pain et les fruits sur les présentoirs avaient perdu de leur bonne odeur. Les flammes entouraient Loan sans qu'il ne sache par où s'enfuir, les habitants du village tentaient déjà d'éteindre l'incendie avec des seaux d'eau. La végétation avait perdu de sa fraîcheur, la verdure se teintant de rouge avant de se transformer en cendre. Une vraie fournaise qui étouffait la splendeur des fleurs.
─ Aiden ?!
Nul part. Disparu. Une explosion le propulsa lui ainsi que d'autres malchanceux avant qu'il n'est pu s'en rendre compte. La fumée inhalée par ses poumons n'était rien comparé à l'incandescence de sa peau qui fondait. Il voulu arracher ce qu'il en restait mais la chair à vif n'était nullement plus agréable. Jamais il n'avait connu une telle douleur. Il brûlait sans être capable de l'arrêter.
─ Loan, je suis là !
Son ami s'approcha rapidement avant de coller une grande feuille verte contre ses blessures.
─ Argh !
─ C'est pour calmer l'inflammation. Calme-toi.
Plus facile à dire qu'à faire. Une seconde explosion surgit un peu plus loin mais des débris chutèrent autour d'eux.
─ Il faut partir d'ici. Tout de suite.

Chaque premier vendredi au retour des vacances d’hiver, le lycée de Tristan organisait son « Carnaval ». Tous les élèves et professeurs devaient se costumer et plusieurs petites activités étaient proposées. Un concours de déguisement était également organisé.
[…]
Les deux premières heures de cours se déroulèrent normalement, sans grand écart. La fête commençait véritablement à la première pause, où les groupes d’amis pouvaient se retrouver et admirer les déguisements des autres élèves. Après cette récréation, certains en profitaient pour sécher les autres cours de la matinée. Tristan ne le fit pas, n’ayant pas vraiment envie de manquer des cours pour rester avec des gens qu’il connaissait à peine.
Pour le repas du midi, un grand buffet fut proposé. Des tables avaient été dressées dans la cour. Plusieurs plats trônaient sur les nappes blanches en papier, tous préparés par des élèves de la filière restauration du lycée : des petits cakes aux olives, des roulées au jambon cru et fromage, des allumettes au saucisson, ou encore des bouts de fougasses. Il y avait aussi des desserts, notamment des madeleines aux trois chocolats, des macarons aux amandes ou même des parts de tartes aux différents parfums.
On pouvait aussi voir, sous une cloche en verre, au centre du buffet, les fameux « Cookies d’or », des cookies cuisinés par un grand chef de la région et offerts aux gagnants du concours de déguisement.
Tristan fut étonné de la bonne ambiance que le Carnaval produisait : les groupes semblaient avoir disparu, les différents clivages sociaux gommés ; les professeurs riaient avec les élèves, on chantait, on déjeunait tranquillement sur la pelouse. Certains s’inspiraient de leur costume pour jouer des saynètes, parfois avec des personnages d’autres univers que les leurs. Une bonne humeur se dégageait de tous, sans animosité aucune.

L'émerveillement de Lauren ne décrut jamais. Hormis l'interlude cavalier qui lui avait laissé de jolis hématomes sur les cuisses, tout ce qu'elle voyait, touchait ou mangeait à Glass Hall insufflait l'enchantement. Plantée devant un énorme miroir encadré de rinceaux d'argent, se brossant vigoureusement les dents, elle songea aux déjeuners express que lui servaient ses parents et à la quantité  faramineuse de soupe de poireaux qu'elle avait ingurgité jusqu'alors. Heureusement, il y avait eu Poudlard pour lui faire découvrir les délices d'une cuisine bonne et gourmande. Elle avait toujours savouré les banquets servis à l'école et avait pensé s'y connaître en nourriture, mais ça c'était avant d'avoir goûté les repas organisés chez les Blackfox. Daurade marinée aux agrumes et ravioles de langoustines parfumées à la coriandre en hors d’œuvre ; entrecôte de bœuf cuite d'un claquement de doigts par les elfes de maison, accompagnée d'un mille-feuille de pomme de terre et de confit d'échalote ; avec, pour terminer de se caler l'estomac, un assortiment de desserts tout plus appétissants les uns que les autres : profiteroles à la noisette de Cervione, baba infusé au thé de fruits rouges, soufflé crémeux au Cognac… Et ceci uniquement pour le déjeuner. A quatre heures, après une longue promenade autour du lac à chercher les traces de la potentielle présence d'un Kelpy, Culter – dans son impeccable uniforme – les avait priées de s'installer en cuisine et leur avait servi un chocolat glacé aromatisé à la vanille ainsi qu'une assiette garnie de beignets aussi légers et délicats en bouche que des plumes en sucre, et une autre de nectarines givrées – spécialité de Jwelly dont le sourire s'étira d'une oreille à l'autre face à l'enjouement de Lauren pour ses créations.

— A la cérémonie de remise des Cookies d'or, je vous décernerais sans le moindre hésitation le prix du goûter le plus succulent.
— Mademoiselle est trop aimable, s'était incliné Culter sans vraiment donner l'impression d'être touché par le compliment.

Le dîner avait été encore plus époustouflant. Des macarons à la truffe et aux artichauts pour l'entame, du canard rôti à la cardamome et au réglisse comme plat principal et un plateau de fromages si fourni que Lauren ne savait même pas lequel tester.

— Les repas sont toujours aussi incroyables ou c'était uniquement pour m'impressionner ? Interrogea Lauren après avoir recraché son dentifrice au fond du lavabo.

Comme toujours, la table de banquet croulait sous la nourriture. Fritures, beignets, légumes, viandes en sauce, poissons braisés, tentacules de pieuvre encore frétillants – le plat favori d’Alaïs – purées, tartines et charcuteries. La jeune fille ne savait plus où donner de la tête, et c’est le ventre plein à craquer qu’elle vit arriver le dessert, tout aussi copieux que le dîner. Mousses diverses, gâteaux variés, fruits de toutes les couleurs. Sa gourmandise la poussait à goûter à chaque mets présent sur la table, mais elle choisit d’être raisonnable et elle se contenta d’un « cookie d’or », sa pâtisserie préférée.

À l’occasion du dîner en l’honneur de l’acceptation d’Ornella en école d’art, la jeune fille avait invité Tristan à le célébrer avec sa famille. L’oncle Jacques, aidé de Calista et Eurielle, avait préparé le repas : des verrines à l’avocat et aux crevettes en entrée, suivies de lasagnes à l’aubergine. Pour le dessert, l’oncle avait prévu la pâtisserie préférée de sa petite nièce : un énorme Paris-Brest.
On fêtait la bonne nouvelle, on riait, on profitait des délicieux plats préparés avec amour. La star de la soirée, Ornella, participait aux différentes conversations avec entrain, même si Calista et Eurielle préféraient parler que toutes les deux. Quant à Tristan, il avait du mal à s’intégrer aux discussions lors de cette soirée. Non parce que la famille d’Ornella ne l’acceptait pas, mais il semblait plutôt soucieux. Alors il restait spectateur, hochant simplement la tête, ou prononçant des rapides « oui » ou « non » si on lui demandait son avis.
On faisait une pause entre le plat principal et le dessert, lorsqu’Ornella posa sa main sur celle du jeune homme.
« Qu’est-ce qu’il ne va pas, Tristan ? » demanda-t-elle, tout bas.
L’interpelé leva son regard vers son amie. Il lui sourit, piteusement : il avait beau ne pas vouloir gâcher cet instant de fête pour Ornella, il ne parvenait pas à lui cacher son anxiété.
« C’est… l’entretien que je dois passer mardi, pour la candidature au master. J’ai peur… qu’ils se rendent compte que je suis un incapable, que j’ai uniquement eu de la chance
— Tu t’inquiètes trop, tu n’as aucun souci à avoir pour ça. Regarde le chemin que tu as déjà parcouru : au lycée tu as bien réussi à t’en sortir, malgré ce qui c’était passé avec sa famille. »
Parce que je t’ai rencontré au bout moment, lui brûla les lèvres.
« Tu vas cartonner à ton entretien, j’en suis sûre. J’ai confiance en toi
— Merci. » trouva-t-il seulement à murmurer.
Elle lui déposa un rapide baiser sur la joue ; qui, aux yeux de Tristan, le soulageait bien plus que toutes les paroles qu’elle avait pu prononcer quelques instants auparavant.

- Ma fille, annonça Lukiv, tu vas devoir être forte. Le trône des Maliniens ne s’acquiert pas facilement. Moi-même, j’ai dû prouver ma valeur en tuant le loup de la côte Ouest. Et ce n’était pas une tâche aisée, tu peux me croire.
- Je sais papa, tu nous parles tous les jours de ta victoire, soupira Alaïs en jouant avec sa fourchette. Est-ce que le devin a décidé ce que j’allais devoir faire ?
Le roi Lukiv toussota et échangea un regard avec ses conseillers, attablés à ses côtés. Ceux-ci détournèrent le regard, soudainement passionnés par le contenu de leurs assiettes.
- Eh bien, c’est tout bête. Trois fois rien. Tu vas devoir ... Rassure-toi, il ne s’agit pas de tuer un loup comme moi, hein ...
- Papa, dis-le-moi à la fin ! s’emporta Alaïs en frappant du poing sur la table. Tu fais durer le suspense depuis la pluie d’étoiles, j’en ai assez !
- Très bien, très bien, calme-toi, répondit Lukiv en levant une main qu’il voulait apaisante. Le devin a pris sa décision. Tu vas devoir aller dans le repère de Poultra afin d’en ramener un œuf. C’est tout.
Les yeux d’Alaïs s’écarquillèrent et elle retomba contre le dossier de sa chaise. Son visage perdit ses couleurs et elle regarda son père avec incompréhension.
- Poultra ? répéta-t-elle. Mais papa ! C’est impossible ! Cette bête est ... Par le grand Malini, je vais mourir si je vais chez Poultra !
- Mais non ! répliqua Lukiv d’un ton détaché. C’est ... euh, facile, tu vas voir, je ... Enfin, je n’ai pas de conseils à te donner, selon la loi, tu dois te débrouiller toute seule. Et tu es une grande fille, à sept mille ans !
- J’en ai six mille trois cent deux, rectifia Alaïs. Papa, je ne pourrai jamais accomplir une telle tâche !
- Mais tu n’as pas le choix ! dit le roi. C’est ça, ou tu perds ton rang de princesse. Ce qui implique ton départ du palais dans les jours à venir. Je te souhaite bon courage !
Sur ces mots, peu désireux de poursuivre la conversation, Lukiv se leva et quitta la table, frappant dans ses mains pour que des serviteurs viennent débarrasser les restes du repas. Alaïs soupira en regardant les domestiques s’activer. Elle avait l’impression qu’on avait versé un seau de glaçons dans son estomac. Elle avait toujours redouté le jour où elle devrait prouver sa valeur pour monter sur le trône. Pourtant, c’était bien pire que ce qu’elle avait envisagé.

— Je ne veux pas te mettre la pression, hein, mon petit chat, mais…t'as intérêt à leur mettre la pâtée ! glissa Lauren à l'adresse de Dorian qui, vraiment, n'en menait pas large.

Pour que la coupe de Quidditch n'échappe pas définitivement aux Gryffondor, l'équipe devait remporter le match contre Serpentard, avec pas moins de 230 points de différence – ce qui était énorme. Dorian avait le devoir d'assurer et empêcher, autant que faire ce peut, que leurs adversaires marquent. Il était au bord de la crise d'angoisse.
Lauren, consciente de sa panique, s'était plantée derrière lui et lui massait vigoureusement les épaules tandis que Marvin remplissait machinalement son assiette et le forçait à avaler cuillerée après cuillerée pour qu'il survive à l'effort. Raven et Lysander, assis en face de lui, se gaussaient gentiment du spectacle, ne pigeant pas bien pourquoi les autres élèves faisaient un tel foin d'un simple match de Quidditch. Toutefois, compte-tenu de l'effervescence qui animait le reste de la troupe, ils ne pipèrent mots, de peur de se voir incendier pour propos hérétiques. Cela aurait été tout à fait le genre de Peter et Irwin de leur hurler dessus en découvrant qu'ils se contrefichaient éperdument de la compétition. Tout au plus, ils désiraient assister à une belle performance sportive – Raven et Lysander étaient réellement trop mâtures.
Genim, ses larges épaules débordant derrière la silhouette de Marvin, braillait à l'intention de Dorian des astuces pour déstabiliser les joueurs de Serpentard. Ce à quoi Peter opinait bruyamment et se proposait même de jeter des bombabouses sur les Poursuivants pour lui faciliter la tache – entre deux gigantesques bouchées d’œufs au bacon.

— Ça va aller, répétait Lauren sans lâcher les deltoïdes de son ami. Tu vas les dégommer, ses teignes !
— Je suis Gardien, pas Batteur, pour rappel, marmonna Dorian, peinant à mâcher la part de porridge imposée par Marvin.
— Oui, bon, ben…tu vas les dégommer mentalement, en leur pourrissant leurs espoirs de marquer le moindre but !

Dorian soupira silencieusement et mastiqua pesamment le toast beurré qui faisait suite au porridge.

— C'est qui les plus forts ? C'est Gryffondor ! explosa Peter, rapidement rejoint par Irwin et Genim. C'est qui les plus forts ? C'est Gryffondor !

Les trois adolescents tapèrent de leurs poings sur le plateau de bois massif, cognant le fond de leur gobelet en rythme et entraînant le reste de la tablée avec eux.

— C'est qui les cadors ? C'est Gryffondor ! Et les trouillards ? C'est Serpentard !

Le jeune homme fut accueilli au lycée avec une grande banderole au-dessus de l’entrée du hall principal, annonçant fièrement le carnaval.
Les deux premières heures de cours se déroulèrent normalement, sans grand écart. La fête commençait véritablement à la première pause, où les groupes d’amis pouvaient se retrouver et admirer les déguisements des autres élèves. Après cette récréation, certains en profitaient pour sécher les autres cours de la matinée. Tristan ne le fit pas, n’ayant pas vraiment envie de manquer des cours pour rester avec des gens qu’il connaissait à peine.
Pour le repas du midi, un grand buffet fut proposé. Des tables avaient été dressées dans la cour. Plusieurs plats étaient disponibles, tous préparés par des élèves de la filière restauration du lycée : des petits cakes aux olives, des roulées au jambon cru et fromage, des allumettes au saucisson, ou encore des bouts de fougasses. Il y avait aussi des desserts, notamment des madeleines aux trois chocolats, des macarons aux amandes ou même des parts de tartes aux différents parfums. Tout le monde avait l’air d’apprécier le repas.
On pouvait aussi voir, sous une cloche en verre, au centre du buffet, les fameux « Cookies d’or », des cookies cuisinés par un grand chef de la région et offerts aux gagnants du concours de déguisement.
En plus du buffet, l’administration du lycée avait installé des haut-parleurs un peu partout dans la cour pour diffuser de la musique. Il y avait même un petit espace karaoké pour ceux qui étaient prêts à tenter l’expérience.
Tristan fut étonné de la bonne ambiance que le Carnaval produisait : les groupes semblaient avoir disparu, les différents clivages sociaux gommés ; les professeurs riaient avec les élèves, on chantait, on déjeunait tranquillement sur la pelouse. Certains s’inspiraient de leur costume pour jouer des saynètes, parfois avec des personnages d’autres univers que les leurs. Une bonne humeur se dégageait de tous.

Une musique assourdissante les accueillit, forçant Marine à reculer un peu.
- Mais qu’est-ce que c’est que ça ? brailla-t-elle pour se faire entendre.
- C’est la maison des Bêtas, répondit calmement Lisa. Ils font la fête, c’est la semaine de relâche.
Une chanson digne d’un teen movie américain sortait des haut-parleurs. Marine n’en était pas spécialement fan, mais elle devait avouer que l’ambiance était meilleure qu’à la dernière soirée où elle s’était rendue – le fait qu’elle n’en ait aucun souvenir rendait le classement plutôt évident.
La maison des Bêtas était assez grande, avec deux étages aux fenêtres grandes ouvertes. Le jardin et le rez-de-chaussée étaient pleins à craquer d’étudiants profitant de leur Spring Break pour boire, consommer de la drogue et niquer des mères.
- Il y a trop de gens que je connais, soupira Lisa. On aurait dû venir plus tôt.
- C’est toi qui as dit que ...
- Marine, arrête de te plaindre, on est venu à cette heure-là parce que c’est le seul moyen de croiser Dwight.
Sur ces mots, Lisa entra dans la maison, lançant au passage un regard courroucé à une bande d’adolescentes qui piaillaient en se prenant en selfies. Marine la regarda partir en secouant la tête. Elle ne s’habituerait au comportement étrange de sa cousine. Résignée, elle lui emboîta le pas. La musique était encore plus violente une fois à l’intérieur et la jeune fille manqua plusieurs fois de trébucher à cause des gens qui dansaient autour d’elle. On lui tendit un gobelet en plastique rouge qu’elle accepta malgré tout.
- Je croyais que tu ne buvais plus d’alcool, dit Lisa, qui était apparue à ses côtés.
- Non, juste la fée rouge, répliqua Marine. Ça, c’est de la Jacqueline, ça me convient tout à fait.

Les gradins étaient en feu. Partout des drapeaux et des banderoles flottaient. Les acclamations s'envolaient, puissantes, par vagues dans l'air du stade. D'un côté se tenaient les supporters des rouge et or, de l'autre, les vert et argent. Deux monstres gigantesques et mouvants s'opposant à grands coups de beuglements indistincts.
Dorian, entre ces créatures aux centaines d'yeux rivés sur lui, peinait à conserver une assurance stable. Il savait qu'il était observé, que ses actions étaient scrutées. Leur classement dépendait des résultats des Gardiens autant que des Attrapeurs. C'était une pression trop importante pour lui, il sentait ses genoux flageoler autour du manche de son balai. Il devait concentrer son attention.
   Le Souafle volait entre les mains des Poursuivants adverses, mais un Cognard dévia la course de Graham Pritchard et Jimmy lui chipa la balle. La ferveur des Gryffondor redoubla d'intensité. Toutefois, malgré le ramdam ambiant, Dorian devina les hurlements forcenés de Lauren dont la puissance de coffre surclassait l'ensemble des autres élèves de Poudlard. Il aperçut d'ailleurs la jeune fille, penchée au-dessus de la balustrade, un pull grenat dix fois trop grand sur le dos, balançant ses bras en tous sens. Marvin lui avait-il chapardé un pull afin de le prêter à Lauren ?

— A gauche, Peaks ! A GAUCHE ! s'époumonait-elle. Tu n'as donc jamais appris à faire une chandelle correctement ? Dorian ne va pas faire tout le boulot tout seul ! A GAUCHE-EUH ! PEAKS !

Une ola fut lancée du côté des supporters de Serpentard. Le Souafle avait de  nouveau changé de mains et les Poursuivants fondaient droit sur les buts de Dorian.

- Poultra ? répéta-t-elle. Mais papa ! C’est impossible ! Cette bête est ... Par le grand Malini, je vais mourir si je vais chez Poultra !
- Mais non ! répliqua Lukiv d’un ton détaché. C’est ... euh, facile, tu vas voir, je ... Tu sais, ça aurait pu être pire ! Tu aurais pu tomber sur Romulus Vilkacis !
Rien qu’à l’évocation de ce nom, tout le monde autour de la table se raidit. Le terrible sorcier capable de se changer en loup avait très mauvaise réputation auprès des Maliniens. Mais Alaïs soupira en levant les yeux au ciel.
- Ça n’a rien à voir ! rétorqua-t-elle. Poultra est un monstre, je te rappelle.
- Et il y avait Tristan aussi, tenta Lukiv, le maître des ...
- Papa ! s’indigna Alaïs.

La nuit était tombée, pourtant, le château était loin d'être endormi. Des élèves, emmitouflés dans de gros pulls ou dissimulés sous leurs capes de voyage, louvoyaient entre les armures du cinquième étage pour rejoindre la salle de classe abandonnée qu'on leur avait désignée. Un petit groupe s'était formé devant la porte. A la tête de celui-ci, une très belle jeune fille de sixième année, aux cheveux blond platine. Elle dispensait ses ordres et s'assurait que tous les gamins présents connaissaient le code pour être admis au club. Un club un peu spécial, avouons-le. Tout était dans le nom : association des jeunes adeptes de magie douteuse. Adyss dirigeait les réunions et tentait d'enseigner des sortilèges oubliés découverts dans un grimoire poussiéreux au possible. La plupart de ses camarades étaient horriblement mauvais. Alors qu'elle-même était parvenue à se métamorphoser en fumée après quelques semaines de pratique, les autres ne réussissaient même pas à faire apparaître une porte dans un mur. C'était d'un triste… Toutefois, la jolie blonde avait bon espoir. De nouvelles recrues s'étaient jointes à eux et, de ce qu'elle avait entendu, il s'agissait d'élèves relativement appliqués. L'un d'eux était un garçon de sa classe. Un introverti aux résultats corrects qu'elle considérait prometteur. Quel était son nom déjà ? Elle fronça les sourcils. Tristan. Quelque chose comme ça. Comme il ne parlait jamais, il était compliqué d'obtenir la moindre information à son sujet. D'ailleurs, elle se demandait si ce n'était pas sa stupide amie qui l'avait contraint à l'accompagner. Hum…il lui faudrait vérifier l'intention de ces deux-là.

Le temps semblait s’écouler différemment sous l’eau. Tout était plus doux, plus calme, plus silencieux, plus tamisé. C’est l’endroit qu’Alaïs privilégiait pour réfléchir. En tant que Malinienne, elle pouvait rester des heures sans respirer, et elle profitait de cette capacité pour passer de longs instants à plusieurs mètres du rivage, seule.
À cet endroit, il n’y avait ni roches, ni coraux, ni algues, ni même aucun poisson ou crustacé. Il n’y avait qu’un désert de sable blanc qui courait à perte de vue et qui se noyait dans le bleu turquoise de l’océan. L’eau était incroyablement transparente et les rayons du soleil inondaient le monde sous-marin d’un éclat doré presque féérique. Il y avait assez peu de profondeur, peut-être cinq ou six mètres, et Alaïs se laissait flotter entre le fond et la surface, les paupières mi-closes. Elle ressentait le roulis des vagues au-dessus de sa tête et elle imaginait l’écume qui bouillonnait dans un grondement qu’elle avait toujours su apprécier.

Tristan s’assit sur un des sièges à disposition, une tasse de chocolat chaud à la main, et observa les éclairs déchirer ce ciel d’ébène et d’étoiles. Six mois auparavant, ce même ciel s’était paré de ses plus belles couleurs et promesses. Des promesses de joie, d’espoir et… de tendresse.

Et, pendant que je laisse ce feu me dévorer,

Il réalisa. Enfin. Il comprit pourquoi il se raccrochait tant à cette valse avec Ornella, éternellement. Car, durant cette danse éphémère, ç’avait été comme si la jeune fille avait décroché une de ces étoiles qui tombaient du ciel et la lui avait confié ; seulement ça avait été son cœur qui l’avait recueilli, avant sa raison, et qui l’avait jalousement veillé. Il l’avait veillée et l’avait laissée s’épanouir, prospérer, sauvage. Et maintenant que Tristan s’en apercevait, il était trop tard.
Sa gorge se serra. Il ferma les yeux. Des larmes roulèrent sur ses joues.
De joie. De tristesse. Il ne savait pas, ne voulut pas savoir.

Sous les pieds de l'adolescente se trouvait désormais un escalier qui s'enfonçait dans les profondeurs du lac. Une odeur forte d'humidité s'en élevait et de la mousse poussait sur les marches. Lauren s'engagea dans l'étroit passage, légèrement réticente bien que très curieuse. Une couche de sable argileux tapissait le fond du boyau et au-dessus d'elles l'eau clapotait gaiement comme séparée des enfants par une vitre de verre. Les rayons du soleil ondulaient lentement, éclairant les lieux par intermittence. Lauren eut une pensée pour les élèves de Serpentard dont les dortoirs étaient situés sous le Lac Noir. Profitaient-ils d'un spectacle similaire ?
Plus elles avançaient, moins la lumière du jour leur parvenait. Lauren devinait des formes dans les soubassements qui les entouraient, des figures gisantes.

— C'est ici que sont enterrés nos ancêtres, expliqua Raven. Ainsi, ils gardent l'accès à la grotte.
— La grotte ?

Et elle apparut, démentielle. Une cathédrale d'étoiles. Les eaux éclatantes du lac n'étaient plus, remplacées par des centaines de constellations scintillantes. Raven leva élégamment le bras et du bout de l'index appliqua une délicate pichenette à l'une des étoiles – qui pourtant paraissait briller à une dizaine de mètres au-dessus d'elle – et tout s'illumina.