Au panthéon des drogues les plus prisée, il y avait la nicotine, la caféine et enfin l'étoiline. Une sorte de poudre étincelante extrait de comète qui venait s'échouer de temps en temps dans le à présent nommé Désert des Etoiles, un site aussi important que pourrait l'être n'importe quel monument de rang mondial, au plutôt de rang universel. Au moins une fois par mois, il était possible d'apercevoir de la fumée et la population se multiplier autour du point d'impact pour découvrir de nouveaux trésors liés à cette chute. Rapidement, les autorités ont bouclé l'endroit afin de récupérer certains matériaux rares mais Jin s'était invitée – ou plutôt, incrustée – afin de récupérer cette poudre, étant tombée dessus par hasard une première fois. Dans le cadre de son travail officiel – c'est-à-dire serveuse – elle proposait un café tout particulier comportant quelques milligrammes de cette substance addictive si précieuse. Elle dissimulait des sachets remplis à plusieurs endroits de son véhicule personnel, dans le siphon ainsi que la bobine du réacteur, juste assez pour les quelque fois où la sécurité était trop intense sur le site. Ce fut la première a rendre cette nouvelle drogue si populaire, tellement que la mafia terrienne lui avait même proposé un partenariat. Elle aurait préféré refuser et garder son indépendance, mais elle avait lu dans les journaux qu'un dealer d'étoiline avait été retrouvé pendu chez lui quelques jours plus tôt et redoutait qu'il lui arrive la même chose. Alors elle avait gentiment ravalée son kiwi et acceptait humblement. Le contrat était de leur donner un certain pourcentage et en échange, elle n'aurait plus à risquer sa vie à aller chercher la matière première sur place et n'aurait qu'à parfaire sa recette de café étoilé pour la vendre ensuite. Bien entendu, elle restait très discrète dans ses affaires illégales mais avait su se construire peu à peu sa réputation auprès des fervents consommateurs d'autres petits bijoux.

Gabin est assis sur le marchepied de sa roulotte aux petits volets mauves. Dans sa main droite repose un gros livre, à la reliure défoncée, sobrement intitulé : « débrouillez-vous tout seul ». Le jeune homme gratte machinalement les trois poils de barbe qui occupent sa mandibule inférieure, puis son nez.

Une grimace d'agacement point sur sa bobine, encore juvénile malgré ses trente ans bien tassés. Deux semaines maintenant qu'il a repéré les traces de rouille sur ses essieux. Il craint que, s'il ne fait rien, cela se développe, se multiplie, et, au final, occasionne des frais qu'il serait infoutu de couvrir. Toutefois, il ignore comment éradiquer la chose. Dans son manuel du parfait ermite, ils parlent de frotter du kiwi sur les zones endommagées, mais – bizarrement – il a un doute quant à l'efficacité de l'astuce. En plus de ça, il est à sec, il ne pourrait même pas se payer deux kiwis. Et son locataire n'est pas du tout le genre à manger cinq fruits et légumes par jour donc…il peut se gratter. À moins qu'il se décide à faire la manche devant le monument aux morts. En arborant sa plus belle tête de chien battu, il devrait récolter une dizaine d'euros. Mais, encore une fois, l'astuce du kiwi, il y croit bof, alors dépenser bêtement de l'énergie pour ça ? Certainement pas.

Le mois dernier, bien qu'il était à court de papier toilette, il n'a pas daigné se remuer pour s'en procurer, alors que c'est un tout petit peu essentiel – vous en conviendrez. Il ne va donc pas s'user la santé pour trois stupides fruits ! D'autant plus qu'il pleuvine de manière fort moche, sa quête virerait au naufrage. Non. Il lui faut un plan B. Malheureusement, il n'en a pas. Dans ces cas là, ne reste plus qu'une seule solution : enquiquiner ce fier-à-bras d'Alexandre.
Il a entendu deux fois la porte d'entrée du manoir Funéraire claquer ce matin, l'animal est dans sa tanière.

Gabin se dresse d'un bond égayé et gambade jusqu'au perron noir de l'immense demeure, panthéon du glauque et du déprimant. Elle aurait eu de la gueule, cette baraque, si les Funéraire n'avaient pas baissé les bras face à la corvée qu'était son entretien. Aujourd'hui, elle flirte dangereusement avec la ruine. Pourtant, en dépit de cet aspect sinistre, Gabin aime bien cette bicoque. Parce qu'elle lui correspond, sans doute. Ils sont un peu pareils, elle et lui, de belles possibilités laissées au rebut.

Requinqué par la perspective d'embêter Alexandre dans son quotidien, il enjambe joyeusement les marches anthracites et enfonce le bouton de la sonnette. Pas de réponse. Il fronce les sourcils. Il est sûr de lui, Alexandre est là. Peut-être que ce couillon l'a vu, cherche à l'éviter et emploie, par conséquent, la bien nommée technique de l'opossum. Gabin se vexe. Ce ne serait franchement pas classe. Il appuie de nouveau, faisant retentir la sonnerie suraiguë. Rien de rien. Il plaque ses poings contre ses hanches, façon matriarche courroucée. Alexandre, mon petit père, tu ne vas pas t'en tirer comme ça, je sais que tu es là et j'ai besoin d'aide. Pas de chance, ça tombe sur toi.

Sans y être invité, Gabin pénètre le manoir Funéraire, s'avance tout doucement dans le couloir. Sur la pointe de ses crocs à la couleur criarde, il s'enfonce dans l'habitation, suit en réalité le vacarme qui s'élève de la pièce attenante.

Se penchant sur le cadre de bois qui marque la rupture entre le hall et la cuisine, il aperçoit le dos interminable d'Alexandre. Celui-ci est plié en deux au-dessus de l'évier, pestant avec forces, insultant une grande partie de ses ancêtres – qui n'en méritent pas tant. Un mug fort mal lavé trône sur la crédence tout près de lui. Des volutes de fumée s'en échappent. Mister Funéraire ne s'est pas encore injecté son shot de caféine, primordial pour espérer pouvoir entamer le dialogue avec lui. Il s'agit minimum requis pour qu'Alexandre n'envoie pas chier les gens. Vraiment, une personne charmante.

— Siphon de mes deux ! s'égosille-t-il brusquement, extrayant précipitamment ses paluches du conduit d'évacuation.

Une entaille de plusieurs centimètres court le long de son auriculaire. Il pisse le sang. D'un geste bourru, il se saisit du torchon qui pend à la poignée d'un tiroir et l'entortille négligemment autour de sa blessure.

Tandis qu'il effectue un prompt volte-face, Gabin se plaque contre le mur et retient sa respiration. S'il venait à trahir sa présence maintenant, Alexandre l'incendierait, purement et simplement. Il contient avec difficulté un lourd soupir. Son rêve de partenariat avec le fils Funéraire vient d'imploser en vol. Il roule des yeux. À qui va-t-il demander de l'aide pour sa sale affaire de rouille ?

"He clearly remembers the first time he saw Curt. It was four months ago, during his first delivery at Café’Inn." (oké c'est à moitié cheaté mais Calypso a dit que j'avais le droit )

“Sorry about that, says a woman leaning into the microphone. Please make some noise for our guests tonight, Chaos Talking!”

“Do you know Deap Vally? They’re no monument like the White Stripes, but they’re a pretty good rock duo and, you know, since they split up, we gotta make do.” (bien sûr que j'ai parlé des White Stripes)

Elle adressa un léger signe de tête à Blake. Le jeune homme s’assura brièvement que tout le monde était autour de lui, puis il posa la perle de voyage sur le sol et l’écrasa violemment avec son talon, dégageant une épaisse fumée bleutée qui les enveloppa.
 - Palais de Tirith ! tonna-t-il.
Dastan écarquilla les yeux, ce qui semblait devenir une habitude chez lui depuis quelques heures, puis le sol se déroba sous ses pieds. La magie opéra, et ils furent transportés à travers l’espace, laissant la prairie et le Grand Portail de Lumière derrière eux.


 - Donc, c’est tout ? demanda Dastan après un long moment de silence.
Abby, Maxwell, Fan et Blake se regardèrent, indécis.
 - Euh oui, finit par répondre Abby. Je crois qu’on t’a fait un bon résumé des seize derniers mois. Il ne devrait rien manquer je pense.
 - Bien, fit le jeune homme en se reculant dans son fauteuil. Bien, bien, bien.
Il gardait les yeux fixes devant lui et les mains crispées sur les accoudoirs, comme s’il se retenait de s’enfuir en courant.
Les adolescents s’étaient rematérialisés au milieu d’une rue de Tirith, provoquant une mini-émeute quand les badauds les avaient reconnus. Heureusement, ils avaient eu tôt fait de se disperser après que Keravel ait régurgité une sorte de carcasse sanguinolente au milieu du trottoir.
Dastan n’avait pas prononcé le moindre mot pendant tout le trajet jusqu’au palais et il se contentait de regarder autour de lui d’un air hagard. Quand il avait aperçu l’énorme monument qui pointait vers le ciel, il s’était figé, raide comme un piquet. Abby avait dû le saisir par le bras pour lui faire reprendre sa marche. Le hall gigantesque du château l’avait tout autant impressionné, sans qu’il ne prononce une parole, à croire que les nombreux chocs de la journée, multipliés par la violence de la perle de voyage,  l’avaient réellement rendu muet. Klark et Ronald, quant à eux, paraissaient ravis d’être de retour dans la capitale, qu’ils avaient très peu visitée lors de leur précédent séjour.
Il ne leur fallut pas longtemps pour atteindre le palais et se rendre jusqu’à la salle commune de l’aile royale. Ils avaient croisé Akila dans les escaliers, qui avait surpris de les voir, en particulier accompagnés d’invités impromptus. Il avait voulu conduire immédiatement Dastan auprès d’Anaël et d’Adeniel, qui selon ses dires trépignaient d’impatience depuis deux jours, mais Abby avait décliné la proposition. Elle voulait expliquer tout ce qu’il y avait à savoir sur Tar-Minyatur à Dastan avant de devoir se pencher sur son futur partenariat avec les deux anges.
Les sept adolescents, accompagnés par Keravel, s’étaient donc installés dans la pièce douillette que les souverains partageaient, afin de se lancer dans le long récit de leurs aventures passées. Dastan avait écouté, sans rien dire. Il avait les yeux de plus en plus écarquillés à mesure que l’histoire avançait et il se tordait nerveusement les mains, comme s’il avait pris un peu trop de caféine. Abby, Max, Blake et Faniyael s’étaient relayés pour tout lui raconter, depuis la découverte de leurs pouvoirs couplée à leur rencontre jusqu’à l’attaque des Cavaliers de l’Apocalypse, en passant par la guerre contre Lord Angel, la menace perpétuelle d’Enig Mate et de ses sorciers, l’aventure forcée d’Abby dans le Panthéon, les Lymbes, l’attaque des morts-vivants et l’arrivée inopinée des dragons de Bellunya. Si Ronald était resté pendu aux lèvres des quatre magiciens et n’avait cessé de leur poser des questions, Dastan s’était abstenu de tout commentaire et il avait simplement écouté en hochant doucement la tête.
 - Alors ? demanda Abby. Tu nous crois ?
Dastan jeta un coup d’œil inquiet vers Keravel, étendu sur le bout du canapé et le fixant de ses yeux d’argent, aux pupilles curieusement rondes, contrairement aux autres reptiles.
 - C’est un peu difficile de faire autrement, reconnut-il. C’est ... Je ne sais pas quel mot utiliser en fait.
 - T’en fais pas, on était tous aussi choqués que toi quand on a rencontré le professeur Howard, le rassura Blake. Enfin, un peu moins pour Fan, vu qu’elle vivait déjà à Tar-Minyatur.
 - Oui, enfin je n’étais jamais sortie d’Aranduri avant de vous rencontrer, répliqua la jeune fille tout en attachant ses cheveux en un chignon au sommet de son crâne. Et j’ai été extrêmement choquée d’arriver sur Terre pour la première fois, c’est tellement différent de chez moi.
 - Tu es donc une sorte d’extraterrestre ? fit Dastan.
 - Eh ! protesta Faniyael. Je n’ai pas envie d’être comparée au monstre dans Alien. Les Elfes n’ont rien à voir avec les extraterrestres !
Dastan cligna des yeux, surpris.
 - Que ... Quoi ? Quels Elfes ?
 - Ben, cette Elfe-là ! répondit Ronald en montrant Fan du bras. Faut suivre, mec.
Le jeune homme se tourna vivement vers Faniyael et son regard se porta aussitôt sur ses oreilles, bien visibles avec sa nouvelle coiffure. Elles s’étiraient toutes les deux en une légère pointe très caractéristique.
 - Merde alors ! s’exclama Dastan.
Les joues de Faniyael s’empourprèrent et elle fronça légèrement les sourcils.
 - Oh, attention à ton langage, couina-t-elle.
 - Fan a horreur de la vulgarité, précisa Abby.
 - Et j’en sais quelque chose, marmonna Blake, qui se faisait réprimander à chaque fois qu’il lâchait un juron.  Maintenant, je suis obligé d’innover pour exprimer mon mécontentement, nom d’un kiwi.
Faniyael redressa fièrement le menton.
 - C’est beaucoup mieux, déclara-t-elle. Nous sommes les souverains de Tirith, nous ne parlons pas comme des charretiers !
Blake haussa les épaules et s’avachit un peu plus dans le canapé.
 - Je ... Je ferai attention alors, dit Dastan sans détacher ses yeux des oreilles de Faniyael. Il va falloir que je m’habitue à tout ça ...
 - Et encore, tu n’as pas vu Kurt, s’esclaffa Blake. Là, tu nous faisais une syncope direct !
 - Pourquoi ?
Abby soupira et lança un regard agacé vers Blake, qui la gratifia d’un large sourire.
 - Peu importe. Est-ce que tu as des questions sur ce qu’on vient de te raconter ?
 - Des millions. Mais surtout une. Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que vous êtes venus me chercher moi ?
Évidemment, Abby s’attendait à ce qu’il lui demande une telle chose. Elle avait pris soin de ne rien dévoiler sur les anges, appréhendant beaucoup la réaction de son ami, et Maxwell, Blake et Faniyael avaient gardé le silence sur ce sujet eux aussi.
 - Alors ? insista Dastan. Vous croyez que je suis un magicien comme vous ? Un Gardien de je ne sais quoi ?
 - Non, c’est plus compliqué que ça, soupira Abby. Mais ce n’est pas à nous de t’expliquer tout ça. Pas parce qu’on ne veut pas le faire nous-mêmes, parce qu’on n’est pas les mieux placés pour ça.
 - Tu me fais peur ...
 - On devrait l’emmener voir Anaël et Adeniel, intervint Maxwell. Depuis deux jours, ils doivent s’impatienter.
 - Je vais plutôt aller les chercher, répliqua Abby en se levant. Le cadre de la salle commune est plus agréable que les autres pièces du palais. Ne bougez pas, je reviens tout de suite.
Après un bref regard échangé avec Dastan, elle quitta la pièce pour aller trouver les deux anges. L’heure des véritables révélations avait sonné.